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Débrancher le cerveau

Si nos marins du Vendée Globe sont assurément des animaux doués de raison, il n’en reste pas moins que, dans certaines conditions, ils avouent ranger bien volontiers dans une baille à bouts le précieux contenu de leur boîte crânienne. Quand tout concourt à leur dire de lever le pied, mieux vaut arrêter de réfléchir que fléchir !

COURSE, 30 JANVIER 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Singchain Team Haikou lors de la course à la voile du Vendée Globe le 30 janvier 2024. (Photo du skipper Jingkun Xu)
COURSE, 30 JANVIER 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Singchain Team Haikou lors de la course à la voile du Vendée Globe le 30 janvier 2024. (Photo du skipper Jingkun Xu)

Ah le cerveau ! Parfois on est contents qu’il soit bien à sa place, à faire son office, et assurer par mille détours sophistiqués notre pérennité. A d’autres en revanche, on sent bien qu’il pèse, nous ralentit, et on aimerait soudain faire taire ses tonitruantes alarmes, forcément inutiles puisqu’on le sait pertinemment qu’on n’aurait pas dû se fourrer dans cette situation, mais maintenant qu’on est rendus là voyez-vous, on n’a plus vraiment d’autre choix que d’appuyer sur le champignon...

« Quand tu dors, au moins tu ne réfléchis pas »

Vous voulez qu’on vous dise un secret ? Un des mantras que se transmettent les marins de course au large dit ceci : « Plus tu vas vite, plus tu as mal, mais moins ça dure longtemps ». Voilà l’équation qui résume actuellement la situation vécue par « les huit salopards » - n’y voyez qu’une référence à Quentin Tarantino, absolument pas un jugement de valeur morale – qui battent le fer en direction du cap Finisterre ! Et c’est d’ailleurs le plus sage d’entre eux, ou du moins le plus vieux, qui nous confirment le caractère peu raisonnable de leur entreprise collective : 


Il y a entre 30 et 38 nœuds, ce n’est pas très confortable. Les heures à venir ? Je m’allonge sur mon matelas, je ferme mes oreilles, et je laisse passer le temps ! Quand tu dors, au moins tu ne réfléchis pas, il n’y a pas grand-chose à faire. Si tu es à la barre, tu pars en courant ! J’ai fait une pointe à 28 nœuds, c’est du lourd. Je n’ai pas de J2, mais pour ceux qui ont fait du J2, ça a dû être encore plus une horreur !

Jean Le Cam
TOUT COMMENCE EN FINISTERE - ARMOR-LUX

Voilà donc la recette de Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-lux, 20e), qu’on aime imaginer jouer les belles au bois dormant quand ça souffle violemment. Serait-ce ça le vrai privilège de l’expérience : parvenir à dormir sur ses deux oreilles quand le cerveau bégaye ? 

En tous cas, Damien Seguin (Groupe APICIL, 15e) ne semble pas s’être endormi côté performance, lui qui a pris la tête du groupe et mis le turbo, avec 446 milles avalés en 24 heures… Après un petit recalage stratégique au Nord, le champion handisport est en ordre de bataille pour attendre la bascule de vent qui devrait venir avec le front suivant, et le pousser jusqu’au Golfe de Gascogne, avec à ses trousses Benjamin Ferré (Monnoyeur – Duo for a Job, 16e), Alan Roura (Hublot, 17e) et Tanguy Le Turquais (Lazare, 18e), jamais les derniers à vouloir participer quand on signale une partie de poker où le cerveau est prié de rester au vestiaire. 

COURSE, 30 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Hublot lors de la course à la voile du Vendée Globe le 30 janvier 2025. (Photo du skipper Alan Roura) Le skipper de Groupe APICIL Damien Seguin (FRA) en vue
COURSE, 30 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Hublot lors de la course à la voile du Vendée Globe le 30 janvier 2025. (Photo du skipper Alan Roura) Le skipper de Groupe APICIL Damien Seguin (FRA) en vue

« Je préfère ne pas trop tirer »

Derrière, c’est tout autant le cas, mais avec les limites imposées par les contingences matérielles. C’est un peu frustré que Giancarlo Pedote (Prysmian, 22e) voit ses camarades s’échapper, et nous expliquait cette nuit : 


Toutes les fois où j’accélère trop, je l’ai vu hier, il se passe quelque chose avec mon safran, il est fatigué, il faut que j’accepte ça. Je préfère ne pas trop tirer et arriver aux Sables d’Olonne… Mon état d’esprit, c’est que je commence à sentir que la fin s’approche !

Giancarlo Pedote
PRYSMIAN

Mais rien n’est joué pour autant, d’autant que le golfe de Gascogne s’annonce bien moins pourvu en vent. Quelques jours après avoir mené la vie très dure à Boris Herrmann (Malizia-Seaexplorer, 12e) et Samantha Davies (Initiatives-Cœur, 13e), le dernier obstacle va-t-il se faire doux comme un agneau, et remettre les compteurs à zéro ? Réponse en fin de week-end ! 

« Je pense que je suis quand même fatiguée »

Derrière, le match est en tous cas observé de près, notamment par Guirec Soudée (Freelance.com, 23e), qui doit commencer à trouver le temps long, lui qui fait cavalier seul depuis le Brésil, et s’approche des Açores sans avoir trop subi les affres de l’anticyclone. Il ne devrait ainsi pas être trop inquiété par le retour du groupe suivant, mené par Kojiro Shiraishi (DMG Mori – Global One, 24e) qui a lui un peu plus de souci à se faire… Car la cavalerie est sur ses talons, à commencer par Violette Dorange (Devenir, 25e), enfin sortie des exigeants alizés :


C’était assez dur parce que ça tapait fort, il y avait des vagues assez courtes et croisées, c’est des conditions que les bateaux n’aiment pas trop donc j’avais hâte de sortir de ça, et comme Cali à côté de moi a démâté, j’étais très triste pour lui. Ça fait une piqûre de rappel que même en naviguant bien, en prenant soin du bateau, on peut avoir de la casse, donc faut faire attention ! Dans les prochains jours je vais avoir beaucoup moins de vent et je suis contente, ça va faire un regroupement, Foussier va sûrement revenir, on va peut-être revenir sur DMG, il y a du match !

Violette Dorange
DeVenir

Bord à bord avec Louis Duc (Fives Group – Lantana Environnment, 26e), la benjamine de l’aventure n’entend pas baisser le rythme dans les derniers jours de course, même si elle nous glisse d’un ton léger qu’elle espère profiter de la pétole pour réparer son rail de grand-voile arraché sur quelques 40 centimètres, et que son moteur est définitivement inutilisable. Rien que ça ! Décidément, Violette Dorange impressionne, elle qui semble avoir la même fraîcheur que le 10 novembre en quittant les Sables d’Olonne et leur torpeur. Fatigue, solitude, lassitude ? On lui a demandé, par souci de clarté, si elle était vraiment faite du même bois que nous : 


Je pense que je suis quand même fatiguée, le fait de jamais dormir en longue sieste ça crée quand même une petite fatigue. Je n’ai jamais ressenti la solitude du début à la fin, juste un peu de manque avec ma famille, mais pas la sensation d’être seule au monde ! Parfois ça m’arrive de m’ennuyer un peu, souvent quand les conditions sont difficiles et que je ne peux pas bouger dans mon bateau, comme ces derniers jours où j’étais obligée de rester à l’intérieur. Mais je me dis que c’est la fin de la course, il faut que j’en profite à fond, je suis déjà nostalgique, de me dire que ça va être bientôt fini, c’était tellement incroyable !

Violette Dorange
DeVenir

Un sentiment ambivalent que doit aussi expérimenter Romain Attanasio (Fortinet – Best Western, 14e), attendu dimanche 2 février aux Sables d’Olonne, pour boucler ce troisième tour du monde mené tambour battant… avec ou sans cerveau, ça dépend des moments ! 

COURSE, 30 JANVIER 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Singchain Team Haikou lors de la course à la voile du Vendée Globe le 30 janvier 2024. (Photo du skipper Jingkun Xu)
COURSE, 30 JANVIER 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Singchain Team Haikou lors de la course à la voile du Vendée Globe le 30 janvier 2024. (Photo du skipper Jingkun Xu)

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