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Damien Seguin : « c’est possible de naviguer à très haut niveau même quand on a un handicap ! »

PAROLES DE SKIPPER (35/40) : Premier athlète handisport à participer au Vendée Globe en 2020, le champion paralympique avait livré une course exceptionnelle, finissant septième sur son bateau à dérives ! Quatre ans plus tard, il revient avec l’envie de faire encore mieux sur le bateau vainqueur de la dernière édition.

LORIENT, FRANCE - 15 AVRIL 2024 : Le skipper du Groupe APICIL Damien Seguin (FRA) à l'entraînement, le 15 avril 2024 à Lorient, France. (Photo par Jean-Louis Carli)
LORIENT, FRANCE - 15 AVRIL 2024 : Le skipper du Groupe APICIL Damien Seguin (FRA) à l'entraînement, le 15 avril 2024 à Lorient, France. (Photo par Jean-Louis Carli)
© © Jean-Louis Carli

Son premier Vendée Globe, Damien Seguin l’avait bouclé, on ose l’écrire, de main de maître ! Sixième sur la ligne, septième au classement final avec son vieil IMOCA à dérives, le champion paralympique né sans main gauche avait conquis le cœur du public, et marqué l’histoire de la course, remontant le chenal des Sables d’Olonne déguisé, symbole de son autodérision, en capitaine Crochet ! Sur la course, ce sont plutôt des uppercuts qu’il n’avait cessé de délivrer durant près de trois mois à ses concurrents directs, bataillant sans cesse dans le groupe de tête, et montrant avec brio que l’océan fait bien peu de cas des petites différences entre les humains… 

Qu’importe une main en moins, seul compte le talent du marin ! Et à ce petit jeu-là, celui qui a grandi en Guadeloupe avant de faire ses armes dans l’équipe de France paralympique a été plus que bien doté ! Deux médailles d’or aux Jeux d’Athènes et de Rio en 2.4 mR, une en argent à Pékin, quintuple champion du monde… rien que ça ! Mais ça ne suffisait pas à ce féru de compétition qui avait envie aussi de prendre le large en solitaire. Figaro, Class40, puis IMOCA : rien ne rassasie sa faim de progresser et repousser ses limites. Quatre ans après son premier Vendée Globe, il repart avec une nouvelle monture ambitieuse, qui n’est autre que le bateau vainqueur de la dernière édition, remis au goût du jour avec de nouveaux foils ! A son bord, il a promis de ne pas y aller de main morte avec la concurrence.  

Vendée Globe :

Comment tu te sens ?

Damien Seguin
Damien Seguin
GROUPE APICIL

Plutôt bien, je suis content d’être aux Sables, je ressens beaucoup de bienveillance de la part du public. Il y a quatre ans, on n’avait pas la chance de bénéficier de cette ambiance, alors j'en profite, et je ne suis pas encore rassasié ! 

Vendée Globe :

Dès ton arrivée il y a quatre ans, tu parlais de repartir sur un bateau plus performant. Tu te souviens à partir de quand tu t’es dit je veux y retourner sur le Vendée Globe ?  

Je l’avais imaginé avant l’arrivée ! Clairement c’est un scénario qu’on avait déjà anticipé avec mon sponsor en amont du départ, il n’y a pas eu de bataille à mener pour les convaincre de signer à nouveau. C’est une chance, mais ça ne rend pas tout plus facile !

Vendée Globe :

Mais ça t’a permis de vite concrétiser le rachat du bateau de Yannick Bestaven, vainqueur du dernier Vendée Globe. Pourquoi ce choix ? 

A l’époque, il y a plusieurs raisons. On n'a ni le temps, ni les moyens de faire un bateau neuf, mais clairement l’idée avec notre partenaire c’était de viser davantage de performance après une première expérience pour découvrir le Vendée Globe, donc on voulait un bon bateau. Déjà fiabilisé, mais capable d’évoluer. Et là, il n’y en avait pas non plus mille sur le marché qui correspondait à ces critères… et le tenant du titre était parfait ! 

Vendée Globe :

Tu as eu quelques déconvenues avec ce bateau tout de même, notamment cette Route du Rhum 2022 sur laquelle tu démâtes… S’en est suivi un gros chantier, aujourd’hui comment tu le décrirais, lui qui va courir son troisième Vendée Globe ?  

C’est sûr que par rapport à la version qu’on a acheté, il y a eu du changement ! Mais ça faisait partie du plan initial, on avait déjà réfléchi aux évolutions qu’on voulait faire. Bon, le démâtage n’était pas prévu (rires), mais finalement il n’arrivait pas à un si mauvais moment. On a eu huit mois de chantier au total, on a changé beaucoup de choses à commencer forcément par les foils, mais aussi de la structure. On a remis le bateau complètement à niveau, et ce qui est super c’est qu’on n’a jamais eu à revenir sur ce qu’on avait fait. Depuis, on a ajusté au fil de l’eau pour gagner en performance, mais vraiment dans le détail, et ça c’est hyper satisfaisant pour un compétiteur comme moi. 

Vendée Globe :

D’autant que de ton côté, tu n’as pas arrêté pour autant, puisque tu es allé naviguer sur le bateau des autres…  

Oui, c’est vraiment une chance immense. Avec ce projet plus ambitieux, j’ai eu la chance d’avoir une équipe plus grosse, restée sur le même socle solide de personnes en qui j’ai une confiance totale, et donc je leur ai laissé la gestion du chantier pendant que de mon côté j’allais gagner en expérience pour mieux appréhender ces bateaux à grands foils, qui sont quand même des machines très complexes. J’ai pu faire les trois premières étapes de The Ocean Race avec Paul Meilhat, et aller de nouveau dans les mers du Sud ce qui est évidemment hyper instructif, mais aussi naviguer avec Samantha Davies, qui est hyper expérimentée. Et puis ça m’a aussi permis de cumuler des milles pour ma qualification, je n’avais pas peur mais ça permettait aussi d’assurer le coup.

Vendée Globe :

 Tu disais que tu n’avais pas d’objectifs sur les courses de préparation mais on t’a vu quand même enchaîner les belles performances, avec notamment une 5e place sur le Retour à la Base. Sportivement, tu es satisfait de ton parcours ? 

Oui, je suis plutôt satisfait de ma préparation. Certaines courses se sont un peu moins bien passées mais on a pris le temps d’analyser pourquoi, et dans l’ensemble tout va dans le bon sens. En tous cas, je n’ai aucun regret sur la manière dont se sont déroulées ces dernières années. Après, il faut vraiment comprendre que le Vendée Globe, c’est une course à part, et où absolument tout peut se passer.  

Vendée Globe :

Justement, qu’est-ce que tu attends de ce deuxième Vendée Globe ?  

On ne s’en est pas caché, la volonté de cette deuxième participation, c’est pour évoluer sportivement, et ça me va bien puisque je suis avant tout un compétiteur. Donc j’en attends une performance, tout en sachant qu’une fois qu’on a dit ça, on n’a pas dit grand chose (rires). On a calibré le projet en mettant les moyens techniques et humains, mais après on sait bien qu’il n’y a pas de garantie de réussite. Donc cet objectif, je me le mets dans un coin de la tête, je suis assez à l’aise avec ça, et je veux me faire plaisir sur ce bateau. C’est pas forcément gagné d’avance parce que ce sont des bateaux très difficiles physiquement. Et je trouve que c’est au final plus difficile de prendre le départ d’un deuxième Vendée Globe que d’un premier. La première fois, tu fais comme tu peux. La deuxième, tu as conscience de la difficulté, de la longueur, de l’intensité. T’es plus dans l’anticipation, et ça rend les choses plus compliquées.  

Vendée Globe :

Ce qui rend la chose aussi plus compliquée, c’est qu’il y a quatre ans, tu avais aussi signé une performance incroyable. Sixième sur la ligne, septième au final du dernier Vendée Globe… Tu penses pouvoir vivre quelque chose d’aussi intense ? 

Oui, c’est sûr que j’ai placé la barre un peu haut (rires) ! J’avais été performant sur un vieux bateau à dérives, donc c’est vrai que c’était assez dingue. Mais c’est ce qui est beau aussi, la vérité de la course. Il ne faut s’interdire aucun scénario, on le sait suffisamment maintenant qu’on a vu que tellement de choses peuvent se passer. Mais de l’intensité, quoi qu’il arrive je sais que j’en aurais.  

Vendée Globe :

Tu as des appréhensions ?  

La blessure physique oui toujours, celle qui te contraint à être moins performant. La collision en mer, ce serait dommageable. Mais ça fera partie du jeu aussi, et c’est dur dans ces courses qu’on met quatre ans à préparer avec toute son âme et son énergie.  

Vendée Globe :

Est-ce que tu t’es préparé différemment par rapport à ta première participation ? 

Mentalement, j’ai fait un gros travail à l’issue du dernier Vendée Globe, parce que les premiers mois juste après sont vraiment difficiles, heureusement que je suis très bien entouré. Et surtout, on a beaucoup peaufiné l’ergonomie à bord du bateau pour essayer de rendre la vie le plus facile possible sur ce qu’on peut maîtriser. Ce qui fait plaisir, c’est d’entendre les gens sur le ponton dire que c’est un bateau neuf, ou en tous cas super propre. Pour un marin, c’est toujours agréable ce sentiment de partir sur un bateau parfaitement préparé ! 

Vendée Globe :

Le dernier Vendée Globe t’a fait changer de dimension en termes de notoriété. Le public t’a découvert, a découvert qu’un handicap n’empêche pas de naviguer à très haut niveau, c’est une fierté pour toi ?  

Oui, c’est une fierté, d’autant plus que cette année, on fait doubler le nombre de participants porteurs de handicap avec Xu (Jingkun, qui a perdu son avant-bras gauche à l’âge de 12 ans). C’est bien d’être le premier, mais c’est embêtant d’être le seul ! Inspirer et donner envie à d’autres, ça faisait clairement partie des objectifs non sportifs qu’on s’était fixés. Je n’aime pas trop le terme de “role model”, mais j’aime montrer que c’est possible de naviguer à très haut niveau même quand on a un handicap ! A l’époque où j’ai commencé à naviguer, ça n’existait pas, et je suis content que ça ait changé. 

Vendée Globe :

On t’a vu d’ailleurs porter le drapeau aux Jeux paralympiques de Paris 2024… 

C’était une offre que je ne pouvais pas refuser (rires) ! C’était dingue quand Tony Estanguet m’a appelé, j’étais hyper heureux. Pour moi c’est une super reconnaissance de faire ça au côté de John McFall, premier para-astronaute, c’était beaucoup de symbole. L’équipe paralympique, c’est ma famille, je veux continuer à y jouer un rôle. A une époque, on m’a demandé de faire un choix, mais je ne vois pas pourquoi je ne continuerai pas à jouer sur les deux tableaux. Garder un rôle d’accompagnement du côté des sportifs paralympiques, et de l’autre continuer ma carrière dans la course au large, avec les autres marins. Montrer que c’est possible, qu’on peut avoir un handicap et ne pas être enfermé ou limité par lui. En tous cas, je me sens à l’aise comme ça.  

Vendée Globe :

Tu peux nous partager ton meilleur souvenir avec ce bateau ?  

Pas facile ! Je dirais les premiers bords et le premier vrai vol après le gros chantier. On rongeait un peu notre frein après ces huit mois d’attente, il n’y avait pas beaucoup d’air mais c’était justement des conditions idéales, et d’un coup le bateau s’élève, tu n’as plus de bruit, tu as l’impression d’être dans un autre monde. Et tu te dis que ça valait le coup, tous ces efforts ! 

Vendée Globe :

Est-ce qu’on va revoir le capitaine Crochet sur le chenal des Sables ? 

Ah, je vous donne rendez-vous sur la descente, je ne veux pas gâcher la surprise… mais on m’en parle souvent de ce costume ! A l’époque, je m’étais pas dit que ça allait marquer autant, mais avec le recul j’en suis content, apporter un peu d’autodérision, montrer qu’on peut en blaguer. On a retravaillé un peu le concept mais j’espère que ça plaira aussi ! 

Rencontre avec Damien Seguin, Groupe APICIL | Vendée Globe 2024

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