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Chasseurs et chassés

Rappelez-vous, "Les Chasseurs" des Inconnus, ce sketch mythique qui a marqué des générations et qui nous rappelle qu'il existe une philosophie bien particulière de la discipline. Ce qui compte, c’est de bien différencier le bon chasseur (celui qui voit un truc bouger et… tire) du mauvais chasseur (celui qui voit un truc bouger et… tire, mais pas pareil). Nuance fondamentale, évidemment. Sur l’eau, chaque skipper du Vendée Globe est à la fois chasseur et chassé. Lorsqu’il est devant, il avance avec une cible imaginaire dans le dos, traquant le vent et les milles avec une intensité acharnée. Quand il est derrière, affamé, il avance avec la rage tranquille de ceux qui ont tout à gagner et le temps de croire en leurs chances. Mais l’océan a ses propres règles, ou plutôt son absence de règles. Il joue avec les nerfs, distribue des risées et des accalmies sans distinction. Un moment, tout semble acquis, l’instant d’après, tout s’effondre. Et ainsi va cette danse, où chaque marin sait qu’il n’est jamais qu’à un grain ou une option douteuse de voir son rôle basculer. En fin de compte, tous naviguent au même rythme : celui de l’océan, maître du jeu et grand farceur.

LE 29 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Freelance.com lors de la course à la voile du Vendée Globe le 29 décembre 2024. (Photo du skipper Guirec Soudée)
LE 29 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Freelance.com lors de la course à la voile du Vendée Globe le 29 décembre 2024. (Photo du skipper Guirec Soudée)

Dans cette 10e édition du Vendée Globe, le suspense n’épargne personne. À tous les niveaux du classement, des poursuivants déterminés traquent leurs adversaires, tandis que les leaders tentent désespérément de maintenir leur avance. Ici, personne n’est à l’abri : les chasseurs d’aujourd’hui pourraient bien devenir les chassés de demain. Cette dynamique haletante génère des rebondissements et des luttes intenses, rendant la course aussi imprévisible qu’implacable. « Je suis à la poursuite de Jean (Le Cam), Isabelle (Joschke) et Giancarlo (Pedote) depuis un moment. Il y a quelques jours, j’avais pris la tête de ce petit groupe et j’étais hyper content puis il y a eu la molle et je me suis fait bien avoir. J’ai pris beaucoup de retard que j’ai réussi à combler en partie. Tout se joue sur des détails : la vitesse et les angles. Jean est toujours meilleur que nous dans les trajectoires, ça c’est clair et net. Globalement, ce n’est pas facile », a commenté Alan Roura (Hublot). Dans l’immédiat, le navigateur suisse compte sur le passage d’une petite dépression qui doit le cueillir prochainement puis le catapulter assez rapidement lors des prochaines 24-48 heures. « A chaque fois, je me dis que c’est la dernière, mais il n’y aura jamais de dernière avant l’arrivée ! », s’est amusé le solitaire qui se réjouit de bénéficier d’une nouvelle opportunité de recoller ses adversaires. « C’est sympa d’être le chasseur même si je préfèrerais évidemment être celui que l’on pourchasse mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir dans ce tour du monde ! Il faut naviguer intelligemment et maintenir le bateau en état », a ajouté Alan, plus motivé qu’un moustique dans un camping malgré la casse, ce matin, de son hook de capelage et la perte de son Jib Top, une voile de gros temps qui lui manquera forcément pour la suite.  

Casse de hook pour Alan Roura | Vendée Globe 2024

Trouver le souffle d’un tour du monde

Même analyse du côté de Sébastien Marsset. Actuellement ralenti dans une zone de vents faibles, le skipper de FOUSSIER est aujourd’hui un peu comme un pompon coincé entre deux chats furieux. « Devant, Benjamin (Ferré) a réussi à profiter du flux de sud-ouest plus longtemps que Tanguy (Le Turquais) et moi, ce qui lui a permis de prendre un peu d’avance. Derrière, une véritable meute revient en force avec du vent de nord-ouest, grignotant des milles à chaque pointage. À ce rythme, il n’est pas exclu que l’on se retrouve tous regroupés d’ici peu », a indiqué le marin dont la satisfaction du jour est d’avoir réussi à effectuer les réparations qu’il envisageait depuis une dizaine de jours dans sa grand-voile. Ainsi reparti presque à 100% de son potentiel, comme une abeille en pleine ruche au printemps, Sébastien mise sur un retournement de situation en sa faveur d’ici à l’arrivée. « Évidemment, le but, c’est de rattraper les copains de devant. Il reste encore 10 000 milles de course, il ne faut pas s’affoler. Je me cale sur les capacités de mon bateau et je fais ma route », a-t-il ajouté, toujours prêt, comme à son habitude, à déplacer des montagnes à la petite cuillère. « Franchement, si on regarde le match qui se joue du côté des bateaux à dérives, c’est un truc de fou ! Il faut vraiment s’arracher. La préoccupation constante de la marche du bateau et du comparatif avec les adversaires est hyper prenante ! », a relaté Sébastien qui ne pouvait pas mieux résumer la situation et qui essaie, par ailleurs, de trouver le bon rythme. Habitué aux régates intenses, où chaque bord se joue comme une manche décisive, il sait ce que signifie naviguer à pleine puissance. Un tour du monde reste cependant une partition infiniment plus complexe, où la vitesse brute doit cohabiter avec la prudence, et où la survie de l’Homme comme du bateau repose sur un équilibre fragile. Dès les premiers jours, il a senti cette tension entre son instinct de compétiteur et la nécessité de s’imposer une discipline plus sage. "Tenir dans la durée", voilà le mantra qu’il se répète.

Entre prudence et détermination : la stratégie des isolés

On l’a compris : le chassé avance avec la pression constante de sentir le souffle du poursuivant. Il trace sa route, choisit ses options avec la prudence d’un funambule, sachant que la moindre erreur peut suffire à renverser l’ordre établi. Le chasseur, quant à lui, est poussé par une soif de conquête. Chaque mille grappillé sur le copain de devant est une victoire. Et puis, il y a ceux qui naviguent loin des groupes, isolés dans l’immensité. Ni chasseurs, ni chassés, ils n’en sont pas moins des compétiteurs. Loin de relâcher leurs efforts, ils doivent puiser dans une autre forme de motivation : celle de donner le meilleur d’eux-mêmes, même sans adversaire direct à portée de vue. Leur défi ? Ne pas se laisser happer par le silence, garder le cap et rester éveillé, dans tous les sens du terme. Chaque option compte, chaque mille parcouru est une brique ajoutée à l’édifice d’un tour du monde où la moindre baisse de régime peut coûter cher. Parmi ceux-là figure notamment Sébastien Simon. « Je suis effectivement un peu entre deux groupes. Je surveille plutôt ce qui se passe derrière car, honnêtement, j’ai du mal à croire que je puisse rattraper ceux de devant, surtout que je vais avoir un arrêt buffet d’ici demain midi dans une zone de molle. Il va falloir que je prenne mon mal en patience mais d’ici là, il faut que j’essaie d’engranger le plus de milles possibles vis-à-vis de mes poursuivants », a détaillé le skipper de Groupe Dubreuil, galvanisé par le fait de naviguer sur son bon bord - et donc pas pénalisé par la perte de son foil tribord – mais aussi par celui d’être le plus rapide de la flotte depuis 24 heures.

Chacun sa « galinette cendrée »


Les conditions sont top en ce moment car elles me permettent de faire route rapidement vers le nord nord-est au portant. C’est vraiment idéal et ça fait plaisir, même si ce n'est pas si facile. Il y a quand même un peu de mer et le vent est vraiment très instable. C’est difficile de trouver le bon rapport de puissance, de savoir quelle voile mettre, etc… mais ma position actuelle me permet d’évoluer sans pression. Je ne cache pas que ça fait du bien, à ce moment de la course, de ne pas se faire imposer son rythme, et de récupérer un peu.

Sébastien Simon
Groupe Dubreuil

Finalement, dans cette grande épreuve autour du monde, tout le monde a son rôle : le chassé qui file droit avec la meute aux trousses, le chasseur acharné qui rêve de faire tomber le gibier, et même les solitaires, ni traqués ni traqueurs, qui avancent malgré tout avec l’océan comme seul compagnon. Chacun poursuit sa propre "galinette cendrée". Et dans cette chasse-là, pas de fusil ni de marécage, mais une seule règle : ne jamais perdre de vue l’horizon… et continuer à tracer, quoi qu’il arrive.


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