Charlie Dalin n’a rien oublié. Il se souvient précisément de ce 27 janvier 2021, soirée d’anthologie où il franchit la ligne du Vendée Globe en tête, avant de finalement devoir céder cette première place à Yannick Bestaven après une compensation accordée par le jury pour avoir porté assistance à un concurrent. Lui, le régatier, le skipper, l’aventurier avait alors fait preuve de respect et d’élégance. Il avait gardé pour lui sa frustration, légitime, dans les semaines qui ont suivi. La suite, c’est l’histoire d’une domination, de victoires de prestige (Vendée Arctique 2022, Rolex Fastnet Race 2023, New York Vendée – Les Sables d’Olonne 2024) et un nouveau bateau qui n’a pas tardé à impressionner. Certes, il s’est blessé lors de The Ocean Race et a été malade en fin d’année 2023, le privant de précieuses navigations. Mais l’essentiel est ailleurs : le skipper de Macif Santé Prévoyance s’est amélioré un peu partout, y compris mentalement.
Charlie Dalin : « j’ai l’impression d’être plus fort »
PAROLES DE SKIPPERS (1/40). Deuxième du classement final il y a quatre ans, le skipper de Macif Santé Prévoyance revient plus motivé que jamais. Avec un nouveau bateau, le Normand assure être encore plus fort qu’à la dernière édition. Confidences d’un favori qui ne s’en cache pas.
Vendée Globe :
Dans quel état d’esprit abordes-tu ce deuxième Vendée Globe ?
Ce qui change par rapport au précédent, c’est que j’y ai déjà participé, je sais à quoi m’attendre et à quoi peuvent ressembler les difficultés. Ce Vendée Globe, je l’attends depuis longtemps, depuis le 28 janvier 2021, le lendemain de mon arrivée. Avec toute l’équipe, nous sommes au travail depuis un moment déjà. Je suis content de savoir que l’on se rapproche chaque jour un peu plus du départ.
Vendée Globe :
En quoi ta première participation et ce scénario complétement fou t’ont changé ?
Avant d’y participer, je n’avais jamais passé plus de 20 jours sur un bateau et je n’avais jamais navigué dans les mers du Sud. C’était une découverte même si j’avais demandé des conseils à Armel Le Cléac’h, Michel Desjoyeaux, François Gabart, c’était un peu de l’expérience par substitution. Ce qui m’a le plus surpris, c’est l’impact au niveau mental, la fatigue, le fait d’être plus facilement à fleur de peau. Mais c’est utile de le savoir et d’intégrer l’importance de la gestion et du rythme. C’est comme si je n’avais fait que des 10 km en course et que d’un coup je participais à un marathon. Forcément, on a une meilleure idée de ce qui nous attend quand il s’agit du deuxième.
Vendée Globe :
Tu as eu une réaction incroyable à l’arrivée, en mettant de côté ta frustration sportive et en t’affichant à côté de Yannick Bestaven. Ça a été dur à vivre dans les semaines, les mois qui ont suivi ?
Ce que j’ai dit à l’arrivée, je le pense toujours. Il y a d’abord eu l’euphorie de retrouver mon fils, ma femme, mon équipe, les Sables d’Olonne. Ce n’est pas rien de boucler le Vendée Globe, c’est incroyable. Quand tout est retombé, bien entendu que ça n’a pas été facile. Je ne suis pas passé loin de la victoire, il m’a manqué 2 h 30 donc forcément, je me réveillais la nuit pour trouver les minutes qui m’ont manqué dans tel changement de voile, telle manœuvre, tel choix que j’ai pu faire. Mon histoire avec le Vendée Globe n’est pas terminée, c’était important de revenir.
Vendée Globe :
Tu as mis à l’eau un nouveau bateau, remporté deux courses majeures (Rolex Fastnet Race en 2023, New York Vendée – Les Sables d’Olonne en 2024). Tu as la sensation d’avoir beaucoup progressé pendant ces quatre ans ?
Oui bien sûr. Lors de la dernière édition, à cause du Covid-19, on n’avait eu que la Vendée Arctique - Les Sables d'Olonne. Le Vendée Globe, ce n’était que ma deuxième course en solitaire en IMOCA ! Depuis, j’ai pu participer à beaucoup de courses, ce qui m’a permis de progresser sur de nombreux aspects. Mais malheureusement pour moi et heureusement pour le spectacle, je ne suis pas le seul à avoir progressé !
Vendée Globe :
En quoi ton bateau actuel est-il plus performant que le précédent ?
Apivia était un très bon bateau mais il avait quelques points faibles, notamment dans le portant, dans la mer formée et en matière d’ergonomie aussi. Avec Macif Santé Prévoyance, on a progressé dans toutes les conditions. Mon cockpit est également beaucoup plus compact, ce qui me permet de faire de nombreuses tâches sans bouger. L’ergonomie a été améliorée, le système d’aération à l’intérieur aussi, il y a beaucoup moins d’eau sur le pont. Et en matière de confort, j’ai un siège sur-mesure avec amortisseur et ceinture de sécurité qui change du pouf que j’avais il y a quatre ans.
Vendée Globe :
Les progrès techniques et le temps dont vous avez tous disposé pour fiabiliser les bateaux, ça signifie que le record de 74 jours, toujours détenu par Armel Le Cléac’h, a de fortes chances d’être battu ?
Ça dépendra vraiment de la météo que l’on va rencontrer. Le but du jeu, ça reste surtout d’arriver avant les autres. Mais les bateaux de dernière génération sont capables de tourner autour des 70 jours et peut-être moins si les conditions le permettent.
Vendée Globe :
Tout n’a pas été facile dans ta préparation, tu as été blessé sur The Ocean Race, malade l’hiver dernier… Comment ça a influé sur ta manière d'appréhender la compétition ?
Suite au choc à The Ocean Race, je vais porter un casque en dur (et non plus un casque de rugby) et le fait d’avoir réduit la taille du cockpit permet de limiter la distance si je chute. Concernant l’hiver dernier, ça a été compliqué parce que je n’étais pas qualifié avant The Transat CIC en début de saison. Le fait d’être allé au bout (4e) m’a libéré pour la New York Vendée – Les Sables d’Olonne (1er). Je crois qu’on s’est bien rattrapé en termes de fiabilisation. L’équipe a travaillé dur, notamment l’hiver et l’été dernier, et ça a porté ses fruits.
Vendée Globe :
On a senti cette année lors des deux transatlantiques que tu prenais davantage de plaisir, comme si tu t’imposais de profiter plus…
Avoir été privé de course en fin de saison, ça a décuplé mon envie de retrouver le bateau, la compétition, mon équipe, mes concurrents. J’ai eu envie de profiter à fond et de prendre beaucoup de plaisir sur l’eau, sans doute encore un peu plus qu’avant. Et c’est dans cet état d’esprit que j’envisage le Vendée Globe !
Vendée Globe :
Tu as réussi aussi à t’offrir des pauses entre les deux transatlantiques puis cet été… Ça permet d’avoir l’esprit frais pour ton tour du monde ?
Oui totalement. Cet été, je suis parti 18 jours, notamment en Grèce et ça ne m’était jamais arrivé de partir aussi longtemps dans ma vie professionnelle ! J’ai pu récupérer à fond. J'ai l’impression d’entamer une nouvelle saison sans la fatigue des deux transatlantiques du milieu d’année. Je sens que j’ai plus de fraîcheur, que j’ai bien récupéré et que je suis d’attaque avant le Vendée Globe.
Vendée Globe :
Est-ce que ça signifie que Charlie Dalin est plus fort qu’il y a quatre ans ?
Oui, j’ai l’impression. Mais je ne suis pas le seul ! Par contre, c’est vrai que je me sens davantage prêt, je me sens prêt à tout donner ! »