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Carpe diem

Au ponton, leurs complexes machines ont des airs de vaisseaux futuristes tout droit imaginés par la Section Q d’un James Bond. En mer, ils ne deviennent que de frêles esquifs où les quelque 4 mm de peau de carbone paraissent bien peu de choses face à la force de la nature. « Cueillir le jour », voilà une locution latine dont le sens a été souvent dévoyé, mais qui s’applique plus que jamais à nos solitaires, pourtant plutôt portés d'ordinaire sur les épissures que sur l’épicurisme.

COURSE, 08 JANVIER 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Groupe Dubreuil lors de la course à la voile du Vendée Globe le 08 janvier 2024. (Photo du skipper Sébastien Simon)
COURSE, 08 JANVIER 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Groupe Dubreuil lors de la course à la voile du Vendée Globe le 08 janvier 2024. (Photo du skipper Sébastien Simon)

Violette Dorange (Devenir, 28e) n’est assurément pas Leuconoé. Si si, rappelez-vous, cette belle demoiselle à qui le poète Horace fait la leçon, elle qui, certaine d’avoir toute la vie devant elle du haut de son insolente jeunesse, ne se préoccupe pas franchement du présent et a la fâcheuse tendance à procrastiner ses devoirs. « Carpe diem quam minimum credula postero », lui dit son érudit aîné, ce qui, dans un brûlant casse-tête de version, est communément traduit par « Cueille le jour, sans croire au lendemain. » Sauf que Horace, lui, n’avait pas accès aux prévisions météo…

« Ce qui a été dur ça a été de prendre la décision »

Car certes, au premier coup d’œil sur la cartographie, la benjamine de la course – seulement 23 Noël, on le rappelle - pourrait donner l’impression d’avoir un peu procrastiné son passage du Cap Horn. Dans les derniers milles du Pacifique, voilà maintenant deux jours que Violette Dorange essaie de contenir son véloce IMOCA, ce qui est déjà une gageure en soi ! « C’est vraiment perturbant d’avoir les voiles roulées, d’aller le moins vite possible, c’est long et c’est même pas facile parce que le bateau va trop vite ! », nous expliquait-elle dans la nuit. Mais la jeune navigatrice vit d’autant plus pleinement dans le présent qu’elle ne faisait justement pas trop confiance à l’avenir, qui lui apportait une velue dépression à la hauteur des Malouines, dont vont commencer aujourd’hui à ressentir les brutaux effets ses anciens camarades de Tanguy Le Turquais (Lazare, 21e) à Kojiro Shiraishi (DMG Mori Global One, 26e)  ! 
 


C’est un peu perturbant de voir les autres concurrents passer le Cap Horn et de me dire que j’étais avec eux il y a quelques jours, mais d’un autre côté je ne regrette pas du tout, je sais que ce que je fais c’est bien, c’est safe ! Je ne voulais pas me retrouver dans du 50 nœuds et rafales à 60 ! Ce qui a été dur ça a été de prendre la décision, j’ai beaucoup hésité, mais une fois que je l’ai prise j’ai jamais trop douté ! J’ai bien tourné la situation dans tous les sens et je sais que c’est la meilleure option pour moi !

Violette Dorange
DeVenir

Ainsi donc pour ne pas être cueillie à froid, qu’on soit rose ou Violette, il faut rester droit dans ses bottes, et repousser à plus tard le moment de ressortir les crocs, même si la benjamine de la course se languit de la chaleur… « Je commence à avoir très froid, j’ai plus de chauffage à bord ! », nous expliquait-elle, alors que, voilà 24 heures, s’est déclarée une avarie majeure de son moteur :


On pense que c’est le joint de culasse qui s’est abîmé et qui aurait laissé passer de l’eau. J’ai perdu énormément d’huile dans mon moteur, il faut plus que je compte dessus jusqu’à l’arrivée. J’étais pas bien à cause de ça hier parce que je me suis mise à stresser et à me dire « qu’est ce qu’il se passe si j’arrive pas à charger mes batteries », mais aujourd’hui je rationnalise un peu plus, je me dis que ça sert à rien de s’inquiéter, ça sert à rien de trop anticiper non plus ! Je vais faire avec mes deux hydro générateurs et mes panneaux solaires. Faut juste que je reste vigilante, que je surveille bien ma consommation… Faut prier pour que ça le fasse mais il y a des chances pour que ce soit le cas ! Je continue et j’essaie de m’inquiéter le moins possible.

Violette Dorange
DeVenir

« Carpe Diem » et frigus caput, le poète serait assurément fier de toi, Violette ! Mais attention, on vous voit venir, pas de raccourci édulcoré, l’épicurisme n’a rien d’une litanie de plaisirs, et c’est justement en cela que nos marins s’en rapprochent ! Car le rêve d’Horace est, on le rappelle, seulement d’atteindre l’aponie – l’absence de douleurs physiques – et l’ataraxie – la tranquillité de l’âme (ça, c’est cadeau pour le camembert marron au Trivial Pursuit). Pour lui, la cessation de la douleur est déjà un plaisir en soi ! 

« c’est pas facile à digérer »

Or à regarder la situation de Damien Seguin (Groupe Apicil, 15e), on en est pas encore là ! Il y aurait en effet de quoi devenir chèvre (oui, on ose, ça fait deux mois qu’on ne dort pas non plus !), lui qui, bloqué par la dorsale anticyclonique avec son binôme Romain Attanasio (Fortinet-Best Western, 14e) a vu revenir sur lui, sans avoir à trop forcer, ses camarades Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-Lux, 16e) et Alan Roura (Hublot, 17e). Au crépuscule, il reconnaissait : 


Pour nous c’est compliqué, on avait fait le trou et les voir revenir aussi facilement, c’est pas facile à digérer, mais ça fait partie de la régate et c’est pas la première fois non plus ! C’est juste une opportunité que leur donne la météo, mais ça fait quand même trois ou quatre semaines que Jean, il a de la chance au niveau des enchaînements météo !

Damien Seguin
GROUPE APICIL

Alors comment se cueille l’instant dans ces conditions ? En appréciant ce qu’on a gagné, tout en reconnaissant ce qu’on a perdu. A savoir, pour Damien Seguin, toujours autant de stress, mais pas le même :


Les premiers jours dans l’Atlantique sont franchement très très différents de ce qu’on a vécu dans le grand Sud. Les conditions ne sont pas les mêmes, c’est quasiment l’opposé, donc c’est pas du tout le même stress ! C’est plus reposant d’un certain côté – physiquement notamment – mais c’est plus complexe niveau cérébral parce que c’est un océan qui est beaucoup plus ouvert tactiquement parlant ! Ce qui est sûr c’est que ça ne va pas être un Vendée Globe rapide pour moi, je suis passé avec 3 jours d’avance sur mon temps d’il y a quatre ans au Cap Horn, et je crois que je les ai déjà quasiment perdus ! J’arriverai quand j’arriverai…

Damien Seguin
GROUPE APICIL

Le premier objectif de ce groupe de quatre marins, qui pourrait encore être rejoints par d’autres si la pétole se prolonge, est de se sortir de cette galère ! « Après on essaiera de faire parler les différentes machines, et je suis content parce que le bateau est encore en bon état pour ça », disait Damien Seguin, décidément bien philosophe, et tout décidé à profiter des plaisirs simples de la nature, qui lui permettent au moins de se reposer un peu, et de prendre soin de lui – à commencer par une séance de rasage qui nous ferait presque regretter qu’il n’ait pas gardé la moustache... On lance une pétition ? 

COURSE, 08 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Groupe APICIL lors de la course à la voile du Vendée Globe le 08 janvier 2025. (Photo du skipper Damien Seguin) Rasage
COURSE, 08 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Groupe APICIL lors de la course à la voile du Vendée Globe le 08 janvier 2025. (Photo du skipper Damien Seguin) Rasage

« On ne peut pas tout avoir ! »

Souffler, c’est aussi l’objectif que se fixe Sam Goodchild (VULNERABLE, 4e) dans les prochaines heures, lui qui, se déjouant des orages et des dévents, vient de faire un bien joli coup au large du Brésil, en croisant en tête de son paquet. Surtout, son option Ouest semble payer, alors que plus au large, Paul Meilhat (Biotherm, 8e) et Nicolas Lunven (Holcim – PRB, 9e) n’ont pas accéléré dans l’alizé ! Dans la nuit, le marin britannique s’en réjouissait :


On a passé le plus dur du front de Cabo Frio, ça c’est cool, on va chercher la bascule dans l’Est avec les alizés, il y a quand même quelques grains qui nous entourent mais ils sont petits. Le vent est tombé ce matin, on est entre 10 et 15 nœuds au près, ça tape un peu mais moins qu’avant, donc ça fait une vie à bord bien plus sympa ! Ca va pas très vite, mais on ne peut pas tout avoir !

Sam Goodchild
VULNERABLE

Qu’ils sont sages nos marins, alors que le skipper de VULNERABLE, désormais passé devant son camarade d’écurie Thomas Ruyant (VULNERABLE, 7e), lourdement handicapé par ses soucis de voile d’avant, voit ses premiers routages atteindre les Sables d’Olonne, d’ici une grosse quinzaine de jours. La fin se fait toujours un peu plus sentir, et c’est justement là qu’il faut, plus que jamais, se concentrer sur le présent, nous dit-il : 


Je surveille beaucoup le bateau puisque tout commence à fatiguer, il y a de plus en plus de problèmes qui apparaissent pour nous tous, moi j’ai des petits détails à traiter et je continue de surveiller.

Sam Goodchild
VULNERABLE

Scruter sa machine, tenter de mettre de l’huile dans ces innombrables rouages qui ne demandent qu’à se gripper, tout en surveillant son tableau arrière, voilà aussi à quoi doit s’employer Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance, 1er), qui voit dangereusement s’approcher la barrière bleue anticyclonique. Dans quelques heures, il le sait, il sera à nouveau ralenti, et Yoann Richomme (PAPREC-ARKÉA, 2e) pourra lui reprendre de précieux milles. A quel point ? Cueillez le jour et ne vous souciez pas trop de demain, car quoi qu’il arrive, nous serons toujours là pour vous le raconter !  

COURSE, 08 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau PAPREC ARKÉA lors de la course à la voile du Vendée Globe le 08 janvier 2025. (Photo du skipper Yoann Richomme)
COURSE, 08 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau PAPREC ARKÉA lors de la course à la voile du Vendée Globe le 08 janvier 2025. (Photo du skipper Yoann Richomme)

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