Ils en avaient bien conscience : un tour du monde ne peut pas être un long fleuve tranquille. Après plus de 24 heures à profiter d’une longue zone de molle au cœur d’un golfe de Gascogne clément, le vent a forci à l’approche du cap Finisterre. Au programme ? 30 nœuds de vent de moyenne, « des rafales à plus de 40 nœuds » dixit Violette Dorange (Devenir), des « conditions sauvages » pour Benjamin Dutreux (Guyot Environnement - Water Family) et la certitude que la soirée et la nuit allaient être courtes. Dès la fin d’après-midi, Paul Meilhat (Biotherm) raconte : « on a retrouvé du vent, ça tartine. Je fais des gros plantés, la mer est affreuse ». « Plein d’actions, plein de croisements, plein de difficultés » promettait de son côté Isabelle Joschke (MACF).
Cap Finisterre amer
Après un début de course plutôt paisible, la flotte s’est confrontée à des conditions particulièrement virulentes au passage du cap Finisterre, de quoi causer quelques avaries et pas mal de sueurs froides. Sam Goodchild (VULNERABLE) en a profité pour prendre la tête de la course en milieu de journée alors que les skippers pointent tous leurs étraves vers le Sud en longeant la péninsule ibérique.
Ce qui était attendu a bien eu lieu avec de petites subtilités : le vent était parfois plus faible au passage du cap Finisterre avant qu’il ne redouble d’intensité dans la foulée, surtout pour tous ceux qui progressent le plus à l’Ouest des côtes. « J’ai passé une nuit blanche », confie Conrad Colman (MS Amlin) alors que Tanguy Le Turquais reconnaît « n’avoir dormi que 3 à 4 heures depuis le départ ». « Après le passage du cap Finisterre, j’ai 30 nœuds sans discontinuer. La mer est forte, le vent souffle fort, c’est impressionnant ». La nuit a été « dure et intense » d’après Samantha Davies (Initiatives-Cœur), « mouvementée et courte » pour Alan Roura (Hublot). Même Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance), leader jusqu’à la mi-journée, reconnaît que ça n’a pas été facile. « Heureusement qu’on ne vit pas ça au Vendée Globe tous les jours, a-t-il confié en vacation. La mer était courte, ce n’était vraiment pas agréable ».
Dans de telles conditions, forcément, les pépins sont plus nombreux et ils n’épargnent personne. Thomas Ruyant (VULNERABLE), un des favoris, a ainsi reconnu devoir se débattre avec une voie d’eau à l’avant de son bateau, au niveau de sa soute à voile. D’après son équipe, le Nordiste « pompe régulièrement l’eau » et assure « maîtriser la situation. » Yoann Richomme (PAPREC ARKÉA), lui, a confié avoir dû faire demi-tour à cause « d’un paquet d’algues dans sa quille ». Jingkun Xu (Singchain Team Haikou), lui, s’est blessé à la cheville et « espère ne pas souffrir d’une fracture » alors qu’il peine à se déplacer sur le bateau. Même blessure pour Maxime Sorel (V and B - Monbana-Mayenne) qui raconte : « je n’arrive pas à réduire ma grand-voile, j’ai tout essayé. Dans ma bataille avec le hook (crochet permettant de fixer une voile hissée au point de drisse ndlr), je me suis blessé à la cheville droite. Elle est légèrement enflée, il va falloir surveiller ça ».
De son côté, Éric Bellion a dû batailler avec des problèmes de voile alors que son bateau enchaînait les plantés. Il parle d’une « nuit de m… », « une galère » où il « a laissé des plumes ». « À un moment, je ne savais plus quoi faire ». Alan Roura évoque de son côté « un gros départ à l’abattée » où le bateau « n’était plus du tout contrôlable ».
Bien veiller à son bateau, préserver le matériel au maximum et… Ne pas perdre de temps en matière de stratégie. Pour la première fois depuis le départ, nous avons assisté à des choix différents afin d’aborder le DST (dispositif de séparation du trafic). La tête de course est passée à l’intérieur avant de batailler pour ne pas être englués dans les zones moins ventées qui bordent la côte. D’autres – un tiers de la flotte - ont choisi une option plus Ouest : « on perdait peu dans les routages et c’était plus facile niveau météo », souligne Violette Dorange (Devenir).
Tanguy Le Turquais a pris la même option, lui qui ne voulait « pas prendre de risque avec le vent fort et les nombreux bateaux de pêche ». À titre d’information, c’est Nicolas Lunven (Holcim-PRB) qui est parti le plus à l’Ouest. « Je n’étais pas à l’aise à l’idée de passer à l’intérieur du DST à slalomer entre les cargos et à multiplier les empannages, confie ‘Nico’ ce midi. J’ai préféré prendre cette route plus simple » Victime d’un problème de safran hier, il a dû bricoler et reconnaît « avoir perdu un peu de temps ». Pas d’inquiétude pourtant, d’autant que « les routages se recroisent après Madère » selon Christian Dumard, consultant météo. En somme, Nicolas devrait retrouver sa place dans la flotte assez rapidement.
En tête de course, Sam Goodchild (VULNERABLE) a pris la première place à Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) dans la matinée. Le skipper britannique, suivi de près par son coéquipier Thomas Ruyant (VULNERABLE), est situé plus à l'Est que Charlie. « On va avoir beaucoup de portant et il faudra trouver la bonne route jusqu’au Pot-au-Noir » assure le skipper MACIF Santé Prévoyance.
En revanche, le vent devrait être un peu moins fort dans les prochaines heures. Les prévisions font en effet état de moins de 7 nœuds de vent entre les Canaries et le Cap-Vert. Dans ces zones de calme, tout est affaire de placements et de décalages. La régate continue avec Madère en ligne de mire : les leaders devraient l’atteindre demain soir. Les skippers continuent donc de s’amariner et tous savent bien que l’aventure ne fait que commencer.