Bertrand de Broc, comment s’est passé votre retour à terre ?
Tout va bien. J’ai repris le boulot, c’est-à-dire la remise en route du bateau. On a dégréé, le bateau est en chantier depuis lundi dernier (ndlr : le 4 mars) à Port-la-Forêt pour un check-up complet. Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour moi depuis mon retour, mais maintenant que tout est rangé je suis un peu plus tranquille. Le bateau devra être prêt d’ici fin avril et ensuite nous pourrons débuter la saison et arriver jusqu’à la Transat Jacques Vabre (en novembre prochain).
Que vont devenir les milliers de noms que vous avez emmenés avec vous autour du monde ?
Nous n’avons pas encore décidé. Beaucoup de particuliers veulent continuer, mais aussi bon nombre d’entreprises. Nous sommes en discussion avec les partenaires un peu plus importants comme EDM Projets, LORANS et Marzocco pour voir comment nous pouvons envisager l’avenir. Tout cela va se décider dans les semaines à venir. Il va aussi falloir que nous trouvions quelques grosses entreprises pour nous épauler, pour apporter des modifications et des améliorations. Ce bateau fait encore partie des très bons et nous souhaiterions encore l’améliorer. Nous allons donc chercher des budgets complémentaires pour le rendre plus performant. Nous allons essayer de garder Votre Nom autour du Monde et de continuer avec ce concept-là jusqu’à la Route du Rhum en 2014.
Est-ce que vous avez déjà entamé des discussions avec de nouveaux partenaires ?
Oui, quelques-uns. Nous discutons avec tout le monde, même avec ceux déjà en place. Tous voudraient continuer mais peut-être avec des budgets un peu moins importants. C’est pour cela que nous aimerions trouver des compléments, avec un ou deux plus gros partenaires pour nous aider à poursuivre cette opération le plus longtemps possible, voire jusqu’au « Globe » en 2016…
Quels types d’améliorations envisagez-vous d’apporter ?
Nous souhaiterions alléger le bateau dans un premier temps. Si nous trouvons des compléments de budgets assez substantiels nous envisageons de changer le mât, de le rendre plus léger. Du coup, cela permettrait d’enlever du poids dans la quille. J’aimerais bien améliorer le système de barres aussi. Tout ça sur les conseils de Jean-Marie Finot et Pascal Conq, les architectes (ndlr : Groupe Finot Conq). Avec ces améliorations, nous pourrions gagner assez facilement 500 kilos dans le bateau et nous retrouver avec une configuration plus proche des trois-quatre meilleurs. La Jacques Vabre est une transat en double, on peut tirer un peu plus fort sur le bateau. Nous pensons que ce bateau peut faire encore mieux que ce qui a déjà été fait, en tout cas lors du Vendée.
Quels sont vos objectifs sportifs pour les mois et les années à venir ? Des podiums ou des records ?
Nous allons faire quelques régates locales ici, comme le Grand Prix Guyader. Nous envisageons, selon les partenaires, d’aller en Méditerranée pour faire la Giraglia. Il y a aussi la Fastnet cette année que j’aimerais bien refaire, le tour de l'île de Wight, pourquoi pas le tour de l’Angleterre en record et la Jacques Vabre après. Ensuite on ne sait jamais. On veut tout d’abord améliorer le bateau et trouver le budget. Nous voulons que l’opération se passe bien, que tout le monde soit content, comme pendant le Vendée. Les objectifs viendront après, nous ne nous sommes pas encore plongés dedans. Je pense que j’ai un bon bateau et je vais essayer d’en tirer un peu plus profit cette année.
« Le Vendée est une course spéciale et on ne peut pas juger ça comme un parcours olympique »
Quel regard portez-vous sur cette édition 2012-2013 du Vendée Globe ?
Un peu différent forcément, surtout si l’on compare avec l’édition de 1996 à laquelle j’ai participée. Les choses ont beaucoup évolué, que ce soit les bateaux, l’organisation. Il n’y a que le parcours qui est resté sensiblement le même. Même si maintenant, il y a les portes.
Qu’est ce que j’en tire ? J’ai pris du plaisir à faire ce parcours et quelque part, j’en ai pris autant à monter ce projet tardif, à amener tout ça au bout. Voire plus. J’ai senti beaucoup de soutien. Maintenant la course est ce qu’elle est. Elle n’était pas facile, comme d’habitude, on le sait. Mais je trouve que la course a évolué en bien au niveau sportif. C’est une belle épreuve, il y a eu des bateaux devant, comme d’habitude. Il y a toujours eu des écarts entre le premier et les autres. A mon avis, lors de la prochaine édition il y aura un chamboulement assez conséquent avec des nouvelles personnes qui vont venir. Il faut évidemment garder ce côté aventure, mais il est très possible que dans quatre ans il y ait une dizaine de bateaux capables de gagner. Moi qui suis parti avec presque 24 heures de retard, j’ai tout de suite compris en voyant les cadences que ça allait partir dans une course type Figaro. Je m’en doutais aussi un peu avant le départ. De mon côté, j’ai essayé de bien mener le bateau, notamment après le cap Horn où j’ai réalisé le deuxième temps jusqu’à l’équateur et le quatrième jusqu’à l’arrivée. Donc voilà, il y a moyen de faire des choses mais il faut être à bloc et partir pied au plancher. Et ce sera de plus en plus comme ça.
En revanche, ma pénalité de 12 heures quelques heures avant de passer la ligne d’arrivée me reste un peu en travers de la gorge. Heureusement que cela ne vient pas des organisateurs. Je trouve que c’est une indélicatesse, que les choses ont été jugées n’importe comment. Je ne sais pas s’il faut le mettre en grand, mais c’est mon sentiment.
En avez-vous reparlé avec l’organisation et le jury international ?
Non parce que nous ne voulions pas remuer ça. C’est dommage parce que cela laisse un petit goût amer. Je pense qu’à un moment il faut être délicat. Il y a des gens qui investissent une partie de leur vie là dedans. Moi ça va bientôt faire 20 ans que j’ai fait mon premier Vendée. Je n’ai jamais été traité comme ça par un jury. Je trouve vraiment qu’il y a une indélicatesse et un non respect des gens qui se sont investis. On ne peut pas traiter les gens comme ça. Je n’ai pas très bien compris. Je pense qu’il faut une commission entre l’organisation et le jury. Je soutiens vraiment cette idée. Le Vendée est une course spéciale et on ne peut pas juger ça comme un parcours olympique. Ça ne correspond à rien et ça n’a pas fait du bien à l’image du Vendée Globe, ça a même créé du tort. Les gens m’en parlent. Je pense qu’il est très important d’avoir une commission en plus du jury. Ça devrait être une condition imposée par les coureurs et l’IMOCA. Sinon ça va devenir comme la Coupe de l’America, plus personne ne viendra sans son avocat et tout passera par eux.
Après la course, j’aime bien étudier ce qu’il s’est passé, les arrêts de chacun, les mails, etc. Il y a eu trop de différences de jugement entre certains. Il ne faut pas faire n’importe quoi avec n’importe quoi. Même si ce sont des jurés internationaux, on ne peut juger de cette façon. Il faut faire vachement gaffe parce que les gens s’investissent énormément là-dedans. Imaginez pour le cas de Bernard, il y a un mec qui monte à bord. Stamm aurait pu être hyper énervé en lui disant « toi tu dégages », il le met à l’eau et derrière il prend une cartouche. On fait quoi après ? Peter Blake a pris un coup de fusil parce qu’il a viré un mec de son bateau. Et s’il s’était passé la même chose ? Le mec il aurait été disqualifié totalement de la vie. J’ai trouvé que c’était mal jugé, c’est tout ! Lorsque j’ai appelé la Fédération Française de Voile, je leur ai dit que ce n’était pas un parcours olympique. Il faut avoir conscience qu’il s’est passé des choses avant. C’est pour cela qu’il faut nommer une commission qui serait entre le jury et la direction de course. C’est indispensable.
« Si je devais repartir demain, je pense que j’aborderais la course différemment »
D’un point de vue sportif, qu’est-ce que vous aimeriez voir évoluer pour le Vendée Globe 2016 ?
Déjà, en ce qui me concerne, je ne ferai pas le prochain Vendée Globe. En revanche j’aimerais bien travailler sur un projet Vendée Globe parce que je trouve que c’est une belle course. Je ne sais pas encore comment. Peut-être un projet que l’on monterait nous-mêmes, en embauchant un autre skipper. Je sais que, personnellement, j’irai au moins jusqu’à la Route du Rhum.
J’aimerais bien bosser sur la course en elle-même, parce que j’ai trouvé que quelques fois il manquait d’autres coureurs au sein même de la course - bien sûr il y avait Alain Gautier, mais lui s’occupait principalement de l’aspect sécurité. Mais qu’on soit bien d’accord, je n’ai pas du tout à me plaindre de l’organisation. L’accueil était parfait ! Mais on peut toujours faire mieux. D’ailleurs je pense qu’un questionnaire adressé aux skippers serait pas mal. Que chacun prenne le temps de réfléchir et de se pencher dessus pendant 2-3 mois. On a tous besoin de travailler ensemble. Ce rôle de consultant extérieur ne me déplairait pas. En revanche quand je dis que je m’engage, je m’engage. Je ne le ferais pas à moitié.
Êtes-vous favorable à la monotypie ?
Je ne sais pas trop. C’est très dur de faire de la monotypie, parce qu’on dit que ça va coûter moins cher, mais moins cher pour qui ? Nous achetons des bateaux à des prix hyper raisonnables, que nous pouvons payer sur cinq ans. Ce n’est pas tout à fait le prix d’un monotype. Il faut payer les études, les voiles et il y aura toujours des gens qui auront plus d’argent à mettre. Quoiqu’il arrive, il y aura toujours un écart.
En tout cas pour le prochain Vendée, ça me paraît trop tard. Peut-être dans huit ans. Je ne dis pas non pour 2020, mais pour 2016 ce n’est pas jouable. D’autant plus qu’il y a encore des bateaux à vendre, des bateaux qui peuvent énormément évoluer. Regardez celui d’Alex Thomson qui a 5-6 ans et qui finit troisième. Peut-être qu’avec un peu plus de fuel au début, il aurait pu gagner le Vendée Globe. Et avec du près jusqu’à Madère, le film aurait peut-être été différent pour les nouveaux bateaux… Quand on regarde ce qui se fait en Formule 1, on sait que certains ne pourront jamais gagner. On a déjà la chance d’être là, quand on voit la conjoncture, beaucoup sont ravis d’avoir pu trouver des 60 pieds d’occase.
Que changeriez-vous dans votre aventure Vendée Globe 2012-2013 ?
Les portes ! Je ne conteste pas le côté sécurité, je trouve que c’est un super atout au contraire. Mais je conteste un peu l’exagération, notamment médiatique. A certains moments, j’avais l’impression qu’on ne parlait que de ça. S’il y a un glaçon qui embête tout le monde, ce n’est pas très compliqué de le positionner. S’il se trouve à 52°, ce n’est pas la peine de positionner la porte à 48°. Parfois, avec les conditions météo c’était un peu compliqué. En revanche, on dort mieux.
Ce qui m’a manqué aussi, c’est l’entrée dans le Sud. Je me souviens en 1996, après avoir passé la porte aux Canaries, je me disais que la prochaine terre serait le cap Horn. Alors que là c’était l’Ile Gough, puis l’Australie, puis la Nouvelle-Zélande, etc. Lorsque j’ai passé le cap de Bonne-Espérance, je ne me suis pas dit « je file tout droit jusqu’au cap Horn ». Cet aspect m’a un peu perturbé au début de la course, je ne l’avais pas forcément intégré avant le départ. Si je devais repartir demain, je pense que j’aborderais la course différemment. C’est une course un peu plus technique, segmentée. Du coup le côté aventure est un peu moins présent. Mais de toute façon, les choses évoluent, il faut faire avec. Peut-être que dans quatre ans, avec l’évolution des glaces, nous n’aurons plus le droit de passer le cap Horn. Comment ferons-nous ? On passera peut-être le canal de Beagle au moteur avec un brise-glace devant nous. Vu ce qui se passe, on n’en est pas loin. La preuve, pendant la course, je n’ai jamais mis de gants polaires, je n’ai jamais eu froid, même au cap Horn. Je l’ai souvent dit, il faisait vraiment meilleur. Mais il ne faut pas oublier qu’on naviguait plus nord.
Propos recueillis par Romain Delaume
Photos : Olivier Blanchet/DPPI