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Benjamin Ferré : « Je veux vraiment finir coûte que coûte, même à la nage en tirant mon bateau »

PAROLES DE SKIPPERS (18/40). Il y a cinq ans encore, ce curieux hurluberlu savait, de son propre aveu, à peine naviguer. Depuis, et notamment aux côtés de Jean Le Cam qui en a fait son protégé, l'atypique aventurier a appris à vitesse grand V, et est devenu un client plus que sérieux... qui ne se prend pas trop au sérieux !

LORIENT, FRANCE - 12 SEPTEMBRE 2024 : Monnoyeur - Duo for a Job le skipper Benjamin Ferré (FRA) est photographié le 12 septembre 2024 au large de Lorient, France - Photo par Lou-Kevin Roquais
LORIENT, FRANCE - 12 SEPTEMBRE 2024 : Monnoyeur - Duo for a Job le skipper Benjamin Ferré (FRA) est photographié le 12 septembre 2024 au large de Lorient, France - Photo par Lou-Kevin Roquais
© Lou-Kevin Roquais

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Il fonce, Benjamin Ferré. C’est un peu sa marque de fabrique, à terre comme sur l’eau, de ne pas trop s’encombrer de doutes et de tracer sa route ! Avec ses Crocs jaune pétant et sa fraîcheur bouillonnante, c’est peu dire qu’il a détonné, voilà cinq ans, en débarquant de la Défense sur les pontons bretons à l’ambiance plutôt feutrée, lui qui savait à peine naviguer. Fini l’archétype du marin-taiseux, et pourtant, voilà que Benjamin Ferré, auto-surnommé “Pépin” pendant sa Mini-Transat conclue en 2019 sur une belle troisième place, s’acoquine avec le plus célèbre d’entre eux : le mythe Le Cam ! C’est d’ailleurs Jean qui “sème la graine” du Vendée Globe dans le cerveau de l’aventurier-entrepreneur… il n’en fallait pas plus pour que “Pépin” germe ! 

Trois ans après l’achat de son IMOCA, l’ancien bateau de Clarisse Crémer, le marin de 33 ans a depuis démontré, en plus de son talent pour mener de tels projets, qu’il fallait compter sur lui en mer. Sur chaque course, il se bat pour le podium des bateaux à dérives droites, qu’il remporte même régulièrement, laissant au passage dans son sillage quelques “foilers” bien plus récents ! Le tout avec cet éternel grain de folie et cette joie contagieuse d’être en mer, qu’il entend bien partager tout au long de son premier tour du monde en solitaire, avec un objectif en tête : ne pas abandonner.  

Vendée Globe :

Tu as un parcours complètement atypique dans la course au large, un milieu dans lequel tu es arrivé il y a seulement cinq ans, quasiment sans avoir jamais navigué avant, avec un bagage d’entrepreneur et d’aventurier plutôt que de marin. Et puis te voilà au départ du Vendée Globe, comment tu analyses ça ?  

Benjamin Ferré
Benjamin Ferré
MONNOYEUR - DUO FOR A JOB

J’ai eu un gros syndrome de l’imposteur en arrivant dans la classe IMOCA, c’était un peu le grand écart avec la Mini-Transat que j’avais fait juste avant, et puis surtout j’ai senti que j’étais attendu au tournant ! Au début du projet, j’avais même la sensation d’avoir une horde de bazookas braqués sur moi, c’était un peu hostile. J’ai essayé de me concentrer sur mon bateau, de naviguer un maximum. Et puis j’avais Jean Le Cam que j’appelais “ma couche d’ozone”. Il m’avait pris sous son aile et ça me faisait une petite protection, les balles ne passent pas avec lui. Après, il y a eu ma toute première course avec mes sponsors, la Vendée Arctique - Les Sables d'Olonne en 2022, où je me retrouve en tête pendant trois jours, et je finis quatrième après la neutralisation (ndlr : en raison des conditions météo, la course s'est terminée en Islande). J’ai senti un énorme changement de comportement de mes pairs, on a commencé à me dire “bonjour”, et une énorme chape de plomb s’est levée pour moi. Au final, c’est ce que je déteste autant que j’adore dans la course au large : quoi qu’il arrive et qui que tu sois, c’est sur l’eau que tu fais tes preuves. Mais ça m’a aussi libéré, parce que je me suis dit que j’étais capable et légitime. 

Vendée Globe :

Et le Vendée Globe, à partir de quand tu t’es dit que tu allais pouvoir être au départ ?  

En fait, c’est drôle, mais je ne me suis jamais dit que ça n'allait pas le faire ! D’ailleurs on en parlait récemment avec mon équipe, je n’ai jamais regardé les histoires de qualification, de nombre de milles, à tel point que j’avais pas vu que j’étais aussi juste pour passer (36e/40, ndlr) ! En fait, j’avais déjà tellement un milliard de trucs à me préoccuper, que je me suis toujours dit que ça ne servait à rien de me poser cette question, et partir du principe que ça allait le faire ! 

Vendée Globe :

Qu’est-ce que tu attends de ce tour du monde en solitaire ?  

Ces derniers temps, je me suis beaucoup reposé cette question avec mon coach. Il m’a fait faire un exercice où il m’a demandé de reprendre les toutes premières interviews que j’avais pu donner au lancement du projet. Je parlais jamais de performance, que d’aventure et de voyage. Ca m’a reconnecté à la raison d’être de ce projet. Ce que j’ai envie de vivre c’est les émotions du solitaire, les albatros, les Mers du Sud, et surtout les deux chenaux des Sables d’Olonne, surtout pas qu’un seul. Je veux vraiment finir coûte que coûte, même à la nage en tirant mon bateau. J’ai envie de vivre les émotions que ça procure, et le reste on verra, mais ma philosophie c’est que la souffrance est éphémère, l’abandon est définitif.

Vendée Globe :

Ta dernière course s’est soldée par une avarie majeure sur la quille et un gros chantier. Dans quel état est ton bateau aujourd'hui ?  

Ça va mieux ! On ne s’est pas ménagés avec l’équipe depuis cette casse. On avait remis à l’eau début septembre, mais on avait un doute, alors on a ressorti le bateau, démâté, déquillé, tout réinspecté et on a bien fait car il y avait quelques petites anomalies. Du coup, on était sûrs à 99 %, et là on est à 100 %. Ça a été intense, j’y ai laissé pas mal d’énergie, et il faut que je me repose, mais là au moins je n’ai plus de point d’interrogation dans la tête.  

Vendée Globe :

On t’a vu très affecté par cet abandon sur la Transat CIC, dans quel état d’esprit te sens-tu maintenant ?  

Effectivement, ça m’a bien assommé. Sur le moment il y a de la déception, et puis le gros contrecoup de toute l’énergie que ça demande de déployer. Le côté bénéfique, c’est que ça m’a rappelé que c’est dur d’être au départ du Vendée Globe. Jusque-là, depuis 2022, j’avais été un peu épargné, ça m’a remis un petit coup de vigilance sur la préparation et ça nous a permis collectivement avec l’équipe de remettre encore un peu de rigueur dans notre manière d’aborder les choses, car il n’y a rien de plus tragique qu’un abandon. En fait, plus il t’arrive des trucs durs, plus t’es légitime. Et puis Jean et Anne (Le Cam, ndlr) m’ont bien aidé à dédramatiser, ils m’ont rappelé que ça arrivait au bon moment plutôt que sur le Vendée Globe, que ça fait partie du jeu pour tout le monde et que sinon ce ne serait pas aussi drôle. Et puis Jean m’a dit “une grosse claque dans ta face, ça t’évitera tout excès de confiance”, et comme souvent il a raison ! Le truc que je regrette, c’est que c’était la dernière course avant le Vendée Globe. En gros, je suis tombé et je n’ai pas pu remonter à cheval. J’espère réussir à ne pas naviguer différemment pour autant.  

Vendée Globe :

Comment te prépares-tu mentalement pour ce tour du monde ? 

Là, j’en suis à l’étape où je range ma chambre ! Concrètement, je règle tous mes dossiers les uns après les autres, j’essaie de pas laisser de trucs débiles à traîner, comme des factures ou des choses qui trainent en bas de la “to do list”. Et puis j’essaie d’avoir une bonne discipline sur cinq aspects : 9 h de sommeil minimum la nuit et 30 minutes de sieste, le téléphone dans une boîte après 20 h, un petit déjeuner copieux et salé, des exercices pour le dos tous les matins, et au moins un peu de sport tous les jours. C’est ma religion à moi. Et puis, je vais dîner chez Jean Le Cam, et je connais pas meilleure préparation mentale, parce qu'il sait quand même à peu près tout ce qu'il y a à savoir. 

Vendée Globe :

Est-ce que tu peux nous partager ton meilleur souvenir sur ce bateau ?  

J’en ai deux qui me reviennent tout de suite en tête. D’abord notre arrivée en Islande avec Guirec (Soudée, ndlr) sur la Vendée Arctique. C’est notre première course, on est comme des gamins parce qu’on vient de faire un résultat dingue. On a 3 ris, il y a 50 nœuds, on est bord à bord à deux mètres l’un de l’autre. On essaie d’aller se mettre à l’abri dans un fjord et là on a la même idée d’essayer de récupérer du matos de kitefoil, alors on envoie des messages sur les réseaux sociaux à des locaux, c’est n’importe quoi. Au final, on n’a pas réussi, mais l’ambiance était folle, les paysages dingues, c’était de l’exploration, de la vraie aventure. Et puis il y a aussi la première fois où je suis parti tout seul sur ce bateau là. Je revois Pierre Brasseur de mon équipe, qui est le dernier à descendre. La première nuit tout seul sur un bateau comme ça, c’est quelque chose.  

Vendée Globe :

Tu mentionnes beaucoup Jean Le Cam, quel rôle a-t-il aujourd’hui dans ton projet ?  

Il est omniprésent ! On dîne ensemble au moins une fois par semaine pour échanger sur plein de trucs. Il me dit : “pose moi toutes tes questions parce que moi ça m’aide à y réfléchir et ça me fait ma préparation mentale”. Sans lui, mon projet n’aurait pas été le même. Il a ce bon sens paysan dans toute sa noblesse, c’est le premier à m’engueuler quand je suis pas assez au chantier, à me dire “t’es qu’un con” parce que je fais pas mon convoyage après une course. Sur un projet aussi long, le plus dur c’est de ne pas perdre pied et de rester aligné. J’ai l’impression que grâce à lui notamment, je suis resté moi-même.  

Vendée Globe :

Toi qui va "à toute allure", comme le titre de ton livre, est-ce que tu penses déjà à la suite ?  

On m’a toujours dit que la meilleure façon de rater son Vendée Globe, c’était de penser au deuxième. Pourtant tout le monde veut savoir ce que tu fais après : tes sponsors, ta copine, ton équipe technique, les médias. C’est dur parce que les gens ne te croient pas quand tu dis que tu ne penses pas à la suite. Moi ça fait quinze ans que je suis toujours à penser au coup d’après, là je veux m’autoriser à savourer. C’est un projet qui demande beaucoup de sacrifices, et la seule chose qui me fait envie pour l’instant après le Vendée, c’est d’avoir du temps. On verra bien si j’y arrive ! 

Rencontre avec Benjamin Ferré, Monnoyeur - Duo for a Job | Vendée Globe 2024

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