Armel le Cléac’h, comment s’est passé votre retour à terre ?
Ça va. Ça fait un mois que nous sommes arrivés et j’ai pas mal enchaîné depuis. Je suis en vacances, ça fait du bien, je peux souffler un peu après les nombreuses sollicitations.
Et votre marathon médiatique ?
Cela a été assez impressionnant. Nous avons enchaîné une semaine très médiatique à Paris, avec François (Gabart) notamment. Nous avions pas mal de rendez-vous communs. Nous avons fait des médias dans lesquels nous n’avions pas forcément l’habitude d’être présent, des plateaux télé sur les chaînes nationales, comme « le Grand Journal », « On n’est pas couché », « Thé ou café », plus des belles émissions sur BFM ou i>TELE ; plus les radios. Bref, nous avons fait beaucoup de choses. C’était sympa parce qu’il y avait un super accueil, les gens étaient très contents de nous voir, de nous féliciter, et aussi parce que c’est agréable de pouvoir raconter l’aventure. C’est surprenant de voir cet engouement, nous ne nous en rendions pas compte quand nous étions en mer. Le fait de voir tous les gens que nous avons pu toucher, c’est top !
Trouvez-vous qu’il y a une différence par rapport à il y a quatre ans en ce qui concerne l’engouement populaire et médiatique ?
En ce qui me concerne bien sûr. Il y a quatre ans, cela avait été aussi suivi mais on avait surtout parlé de ce qu’avait fait Michel (ndlr : Desjoyeaux) et de son arrivée. J’avais fini deuxième mais on ne m’avait pas trop médiatisé parce que j’étais arrivé plusieurs jours après Michel et le scénario était différent. Pour cette édition je pense que ça a pris encore plus d’ampleur parce qu’il y a eu ce duel, cette arrivée serrée, et aussi parce que les moyens de communication se sont développés, notamment avec les réseaux sociaux. Les chaînes d’informations en continu ont aussi bien suivi la course et je pense que cela a touché beaucoup plus de gens. La situation économique et l’actualité n’étaient pas très faciles et je pense que cela a aussi permis à chacun de sortir un peu de ce quotidien compliqué. C’est d’ailleurs ce que nous ont dit les journalistes dans les chaînes d’info, ils étaient contents de parler du Vendée Globe plutôt que de parler de la crise et des problèmes en Afrique ou autre. C’était aussi un bon bol d’air pour eux.
© Benoit Stichelbaut
Comment vous sentez-vous physiquement ?
Je suis très fatigué. Physiquement ça va parce que je n’ai pas eu de pépin pendant la course. Nous avons fait des bilans avec le pôle d’entraînement et les médecins qui nous suivent. J’ai fait des prises de sang avant et après la course et nous avons vu qu’il n’y avait pas de carence. Les résultats ont même été très positifs par rapport à ce que nous avions pu embarquer comme nourriture. Donc ça, c’est super. Mais la fatigue est bien présente, d’autant que ça s’est enchaîné depuis l’arrivée, entre les médias, les sponsors et les sollicitations locales. Vendredi dernier nous avions une belle fête à Port-la-Forêt, qui tombait malheureusement le jour de l’arrivée d’Alessandro (Di Benedetto). C’est dommage mais la date était arrêtée depuis un moment au regard des emplois du temps de chacun. Nous sommes pas mal à être partis en vacances. Nous avons quand même envoyé un message commun à Alessandro. C’était important, on était désolé de ne pas pouvoir être à son arrivée. Mais nous avons bien entendu suivi sa fin de course, je l’avais même eu au téléphone parce que j’ai fait une petite intervention à Lorient avec d’autres skippers mardi dernier (ndlr : le 19 février), c’était très sympa. On s’est félicité l’un et l’autre.
« Tout le monde a vécu cette intensité, ces difficultés sur l’eau »
Comment résumeriez-vous cette édition 2012-2013 ?
Ça a été un Vendée Globe intense. Cette intensité, je l’ai vécue du début à la fin parce que je faisais parti du duel. Mais je pense que tout le monde a vécu cette intensité, ces difficultés sur l’eau. A chaque édition, le Vendée Globe est un peu plus suivi, médiatisé. Tant mieux, c’est une belle réussite pour ceux qui organisent cette course, pour ceux qui la font et ceux qui la vivent.
Quel sera votre programme sportif à votre retour de vacances ?
Je vais refaire la Solitaire du Figaro au mois de juin. On a vendu le monocoque Banque Populaire à Jérémie Beyou - la passation est en train de se faire - et nous avons en même temps racheté le trimaran Groupama 3 avec lequel je vais faire la Route du Rhum en 2014. Nous allons naviguer sur le bateau à partir du mois d’avril et préparer la Route du Rhum en tentant quelques records d’ici novembre 2014.
Avez-vous prévu de modifier le trimaran ?
Pour l’instant nous allons mettre le bateau aux couleurs de Banque Populaire, le chantier est déjà en cours. Ensuite nous allons naviguer et prendre en main le bateau. C’est un bon bateau qui est déjà bien abouti. Je vais refaire du multicoque parce que ça fait quelques années que je n’en ai pas fait. Et à partir de là, nous ferons des modifications s’il le faut d’ici l’hiver prochain. Nous avons pratiquement deux ans pour préparer la couse, ça nous laisse le temps de travailler de manière cohérente.
Avez-vous participé à la vente du monocoque Banque Populaire ? En avez-vous discuté avec Jérémie Beyou ?
Je n’ai pas participé directement à la vente, j’étais en mer quand les choses se sont faites. En revanche, Jérémie et moi nous nous sommes vus depuis. Je suis très content que ce soit lui qui ait racheté le bateau. Nous nous connaissons très bien, nous avons des parcours très similaires. De plus nous sommes voisins à Lorient. Je sais qu’il va prendre soin de ce bateau et sûrement faire de très belles choses avec. Je crois qu’il a pu discuter avec Christopher Pratt (ndlr : co-skipper du monocoque Banque Populaire) qu’il connaît bien, avec qui il a beaucoup navigué aussi. J’ai préparé ce Vendée Globe avec lui pendant deux ans. L’échange s’est plutôt fait avec Christopher, qui me connaît bien et qui connaît bien le bateau. Je pense que c’est aussi une des raisons pour lesquelles Jérémie a racheté ce bateau-là.
Etes-vous heureux de voir Banque Populaire entre les mains de Jérémie Beyou ?
Oui complètement. C’est un bateau avec lequel j’ai une histoire, il y a quelque chose qui s’est créé. J’ai évidemment une pensée pour celui qui va prendre le bateau et je suis très content que ce soit Jérémie parce que je sais que c’est quelqu’un de très pointilleux, qui va sûrement jouer des podiums dans les courses qui arrivent. Je sais que le bateau sera de nouveau aux avant-postes et ça c’est parfait.
« La Solitaire du Figaro et la Route du Rhum »
Serez-vous au départ du prochain Vendée Globe, en 2016 ?
Pour l’instant il faut me laisser le temps de digérer celui-là. Pour partir sur un Vendée, c’est beaucoup d’engagement personnel, c’est toute une équipe, un sponsor, ça prend beaucoup de temps, ce sont des gros projets. Il faut avoir l’envie de faire tout ça. Aujourd’hui, ce n’est pas ma réflexion. Je vais d’abord digérer, profiter de ce Vendée qui était intense pendant ces 78 jours mais aussi pendant les deux années qui ont précédé. J’ai également de nouveaux projets devant moi avec Banque Populaire, sur les deux ans à venir. Je vais me concentrer sur la Solitaire du Figaro dans quelques mois et ensuite sur la Route du Rhum, qui est un gros objectif.
Est-ce que ce Vendée Globe va changer votre manière de vous préparer et d’aborder les courses ?
Pas plus que ça. J’étais déjà attendu avant le Vendée, sur le circuit IMOCA ou le Figaro. Maintenant je passe sur un nouveau circuit. Le maxi-trimaran n’est pas ma spécialité, au contraire, je n’en ai pas fait beaucoup. Je vais beaucoup travailler pour rattraper le manque d’expérience que j’ai par rapport à des Joyon, des Coville, des Lemonchois, et d’autres concurrents qui seront sur la Route du Rhum. Sinon je sais que sur la Solitaire je serai attendu au tournant, comme Jérémie (Beyou), comme d’autres, mais c’est aussi ça qui est passionnant. Nous allons travailler, parce que les petits camarades travaillent en ce moment. Ils s’entraînent maintenant depuis début janvier. Je vais préparer la Solitaire de façon rigoureuse. Ça sera aussi un bon test qui me permettra de voir où je me situe. C’est une course qui me passionne (ndlr : il l’a déjà remportée deux fois, en 2003 et 2010) et je suis prêt à repartir avec plaisir.
Qu’est ce qui a motivé votre choix de partir en maxi-trimaran ?
Ce qui me passionne dans la voile c’est la course au large en solitaire. J’avais des objectifs sur le Vendée Globe qui ont presque était rempli à 100%. La Route du Rhum est aussi pour moi une très grande course, une course mythique en solitaire. Je l’ai déjà fait deux fois en IMOCA (ndlr : 4e en 2006, 2e en 2010), mais quand on est compétiteur c’est toujours un peu frustrant de voir qu’il y a une catégorie qui va plus vite, qui arrive avant les autres. J’avais envie un jour de faire partie de cette catégorie-là pour, pourquoi pas ?, être le premier à franchir la ligne d’arrivée dans deux classes différentes à Pointe-à-Pitre. C’est pour cela que nous avons évoqué ce projet avec le team Banque Populaire. Du coup, le fait d’avoir ce bateau et ce projet-là, ça va me donner la possibilité de remplir cet objectif. C’est une course mythique et de pouvoir la gagner un jour en étant le premier à franchir la ligne d’arrivée toutes classes confondues est un rêve. J’ai suivi les dernières éditions et à chaque fois c’est un multicoque qui l’emportait. C’est aussi pour ça qu’il fallait un jour être présent en multicoque. L’occasion s’est présentée avec Banque Populaire. On va se préparer pour ça.
Propos recueillis par Romain Delaume