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Armel Le Cléac’h : « J’atterris petit à petit »

Le 19 janvier dernier, Armel Le Cléac’h remportait le 8ème Vendée Globe en 74 jours 03 heures et 35 minutes. Toujours très sollicité, pas encore tout à fait reposé, Armel a pris le temps de répondre à nos questions. Il nous raconte son retour à la vie de terrien, livre une analyse instructive du dernier Vendée Globe et expose ses futurs projets. Entretien…

Armel, comment se passe le retour à la vie « normale » après ce Vendée Globe exceptionnel ?
Armel Le Cléac’h :
« Bien ! Je profite pleinement de cette victoire qui a concrétisé dix ans de travail. Le programme a été très intense depuis l’arrivée avec un véritable marathon médiatique. J’ai eu 15 jours à 3 semaines de sollicitations intenses. J’ai été pris dans une espèce de tourbillon. Mais j’ai tout de même réussi à partir un peu en vacances avec ma famille pour faire un break. Depuis mon retour, les demandes de la part des médias et des sponsors ont repris de plus belle. Le rythme est toujours soutenu. Mais ces moments me procurent beaucoup de joie. »

Avec un peu de recul, en racontant ton aventure et en discutant avec les gens, réalises-tu l’ampleur de ta performance ?
« Oui, j’ai forcément un peu plus de recul qu’au moment de mon arrivée aux Sables d’Olonne. Je réalise tout doucement que nous avons réalisé quelque chose de très important avec mon équipe. Je me suis aussi rendu compte de l’impact du Vendée Globe auprès du public et des médias. La course a été très suivie. J’avais déjà ressenti l’engouement autour de l’événement il y a quatre ans, mais il est clair que la course a encore pris de l’ampleur à l’occasion de cette 8ème édition. Le fait que j’ai gagné a aussi changé la donne : on n’a pas le même statut en tant que vainqueur. Les gens me reconnaissent dans la rue maintenant (rires) ! »

« Physiquement, je ne suis pas encore totalement remis »

Pour remporter le Vendée Globe, tu es allé très loin dans tes ressources, à la fois physiquement et mentalement. Es-tu pleinement remis aujourd’hui ?
« Non pas encore. Mentalement j’atterris petit à petit. Physiquement ça va un peu mieux mais je ne suis pas encore totalement remis. Les diverses sollicitations demandent de la concentration et génèrent donc de la fatigue. Il faut bien gérer cela pour pouvoir récupérer au fur et à mesure que les semaines passent. Je dois faire le tri dans les demandes reçues. Je pourrais passer deux ans à faire le tour des écoles et des événements qui me demandent de les parrainer. Mais je ne peux pas tout faire. Je vais bientôt me remettre sérieusement au sport. »

En dehors de ta course et de ta lutte épique avec Alex Thomson, quels événements t’ont marqué dans le 8ème Vendée Globe ?
« Il y a eu différentes courses dans la course et c’est ce qui a rendu l’événement passionnant. La lutte très serrée entre Jean-Pierre Dick, Yann Eliès et Jean Le Cam a été superbe. Je retiens aussi des belles surprises comme Eric Bellion qui a su évoluer pendant son Vendée Globe tout en restant humble. Sa performance est admirable. Tout comme celle de Conrad Colman qui est parvenu à rallier les Sables sous gréement de fortune : incroyable ! Je ne peux pas citer tous les skippers mais en tout cas je note qu’il y a eu 18 bateaux à l’arrivée et c’est une très bonne chose. Il faut qu’un maximum de bateaux finissent pour que ces projets réussissent. Quand on voit l’impact médiatique et populaire d’une arrivée aux Sables… Chaque sponsor qui va au bout remporte une victoire. Je n’ai pas pu aller à toutes les arrivées, mais comme beaucoup de monde je les ai suivies sur Internet. Cela m’a fait plaisir de voir ces belles images, d’observer la joie et l’émotion de tous les concurrents qui sont parvenus à rallier les Sables d’Olonne. Je les verrai tous à la remise des prix le 13 mai prochain. »

Il y a eu 50 jours d’écart entre toi et Sébastien Destremau, le dernier concurrent classé de ce Vendée Globe (il y en avait 26 entre François Gabart et Alessandro di Benedetto il y a 4 ans). Comment analyses-tu ce chiffre?
« Ce n’est pas une surprise pour moi. Avant le départ, on savait qu’il y aurait des écarts conséquents à l’arrivée. Le différentiel était très important entre les concurrents du haut de tableau et ceux qui visaient l’aventure avant tout. Préparation, performances des bateaux, expérience des marins : tout cela mis bout à bout a créé des différentiels conséquents. Chacun y est allé à son rythme, en fonction de son niveau et de son expérience. »

« Je suis attristé par les polémiques entre marins »

Certains venaient en effet pour gagner, quand d’autres venaient sans prétention de classement. Comment faire co-exister ces différents profils ?
« Tout d’abord, je tiens à dire que je suis attristé par le fait qu’il y ait eu des polémiques entre marins, par médias interposés. Il n’y a pas forcément besoin d’aller exposer ça dans les médias, on peut aussi prendre son téléphone et se parler directement. C’est beaucoup plus simple et efficace…
Ceci étant dit, je pense qu’il faut garder cette diversité avec différents projets : ceux qui visent la victoire et ceux qui ont des projets d’aventuriers avec moins de moyens. Cela ne me pose aucun souci.
Le Vendée Globe, c’est comme un marathon, avec ceux qui mettent 2h et d’autres qui mettent 5 ou 6h et finissent la course à leur rythme. Mais du premier au dernier, chacun vient pour la compétition et regarde son temps et son classement. Tout ça pour dire qu’il ne faut pas dénigrer l’aspect sportif. Il faut avoir un peu de respect pour la course à laquelle on prend part. Si on n’aime pas la compétition et la confrontation on peut faire le tour du monde de son côté, en mode croisière.
»

Es-tu impatient de remettre les pieds sur un bateau ?
« Non, je n’ai pas forcément l’envie d’aller sur l’eau tout de suite ! Je ne fais pas comme certains qui naviguent déjà en Figaro, ce qui est courageux de leur part. J’avais fait ça après mes deux derniers Vendée Globe. Je voulais très vite réattaquer pour digérer la déception de la 2e place. La donne est différente cette fois. Je vais profiter des semaines qui arrivent pour bien digérer cette victoire. Naviguer n’est pas ma priorité actuelle. Quand j’ai du temps pour moi, je fais autre chose, je profite de la vie à terre. J’ai un bateau en construction. Dès qu’il sera à l’eau, j’entrerai dans un nouveau cycle très intense. »

« La mise à l’eau de mon Ultime est prévue au mois d’août »

Justement, où en est la construction de ton maxi trimaran Banque Populaire IX et quel programme t’es-tu fixé ?
« Banque Populaire IX est en plein assemblage : les trois coques, les bras et le mât sont arrivés chez CDK à Lorient. Tout se passe bien, le puzzle se monte au fur et à mesure. Banque Populaire IX sera un très beau bateau, avec des choses dans l’ère du temps, des foils, des plans porteurs. La mise à l’eau est prévue au mois d’août. Je participerai à la Transat Jacques Vabre en fin d’année. Ce sera notre première course, nous l’aborderons avec humilité car nous n’aurons pas énormément de temps pour prendre le bateau en main et en utiliser tout son potentiel. Mais ce sera l’occasion de faire une transatlantique en course. Puis il y aura un convoyage retour vers la Bretagne.
Il sera alors temps d’aborder la saison 2018 avec un programme qui va se mettre en place avec le collectif Ultim. Il devrait y avoir une course au printemps en équipage. Puis je serai au départ de la Route du Rhum. Avec le Vendée Globe, c’est l’autre grande épreuve majeure à remporter quand on fait de la course au large. J’aurai à cœur de prendre ma revanche après la mésaventure survenue en 2014, lorsque j’avais dû déclarer forfait sur blessure. Puis en 2019, je participerai à la fameuse course autour du monde en solitaire en Ultim au départ de Brest. Il y aura du beau monde : François Gabart, Thomas Coville, Sébastien Josse, peut-être Francis Joyon...
»

Tu n’es plus jamais remonté sur ton IMOCA Banque Populaire VIII depuis que tu as touché terre le 19 janvier dernier. Tu t’étais forcément attaché à ce bateau avec lequel tu as écrit une histoire forte. Cela n’a pas été difficile de le quitter si brusquement ?
« Je n’ai pas ressenti de déchirement. Je savais avant le départ que le bateau était vendu et que notre association se terminerait à l’issue du Vendée Globe. Je m’engage dans un nouveau projet et l’histoire continue pour le bateau qui sera au départ du Vendée Globe en 2020 entre les mains de Louis Burton. La passation est faite. Louis et son équipe m’ont demandé si je pouvais faire une ou deux journées à bord. Pourquoi pas, ce serait un plaisir de tirer quelques bords sur ce bateau et d’apporter mon expérience. »

On sait que tu ne seras pas au départ du Vendée Globe en 2020. Mais pourrait-on te revoir un jour sur cette course ?
« Non, je ne reviendrai plus sur le Vendée Globe. Le  programme va s’enchaîner en Ultim. Depuis le début de ma carrière je progresse étape par étape. Après le tour du monde en solo en 2019, j’aimerais bien naviguer en équipage, pourquoi pas autour du monde… J’ai aussi envie de partager, de naviguer en équipe. »

Propos recueillis par Olivier Bourbon / M&M


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