Anthony Marchand : « Tout va se jouer à quelques milles près »
L’ANALYSE DU DIMANCHE. Anthony Marchand, le skipper d’Actual Ultim 3 qui a bouclé son premier tour du monde en solitaire l’hiver dernier dans le cadre de l’Arkea Ultim Challenge et participé à The Ocean Race en 2023 à bord de l’IMOCA Biotherm aux côtés de Paul Meilhat, Sam Davies et Damien Seguin, livre son regard sur la situation actuelle en Atlantique Sud et d’une manière plus générale sur la course.
Vendée Globe :
Ce dimanche, les leaders du Vendée Globe vont accrocher une dépression secondaire au nord de Rio de Janeiro et ainsi crapahuter tout schuss au portant en direction du cap de Bonne Espérance. On parle d’une situation assez inhabituelle. Peut-on même dire qu’elle est plutôt exceptionnelle ?
Cette petite dépression, qui arrive à point nommé, n’est pas très violente mais elle va avoir un bel effet toboggan. Les premiers vont faire des routes très directes. C’est effectivement assez rare d’avoir l’opportunité de faire des trajectoires aussi tendues à cet endroit du globe. On peut donc dire que c’est un début d’hémisphère Sud presque parfait, pour les premiers en tous les cas.
Vendée Globe :
Combien seront-ils, selon toi, à réussir à profiter de cette fameuse dépression et surtout à la garder ?
Les dix-douze premiers vont vraisemblablement réussir à partir avec, mais tous ne vont pas réussir à l’accrocher aussi longtemps. Les deux leaders, Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) et Thomas Ruyant (VULNERABLE), risquent d’être un peu les seuls à la garder jusqu’au cap de Bonne Espérance. Ça va en fait se jouer à quelques milles près.
Vendée Globe :
Peut-on, par conséquent, s’attendre à ce que la flotte, qui est déjà scindée en deux, se coupe en trois ?
En effet mais ce n’est pas trop dérangeant car ceux qui vont se faire décrocher vont ensuite récupérer du vent à l’avant d’une autre grosse dépression. Celle-ci va les faire glisser, certes avec un peu de retard sur ceux qui auront filé avec la première, mais avec des bonnes conditions et donc des vitesses rapides. Pour le paquet dans lequel on retrouve quasiment tous les « dériveurs”, ça va clairement être plus long mais ce dernier va malgré tout profiter d’une trajectoire assez tendue vers l’Afrique du Sud. En résumé : la traversée de l’Atlantique Sud devait se faire dans des conditions agréables pour le monde même si, bien sûr, l’élastique va se tendre.
Vendée Globe :
Doit-on s’attendre à ce que des records de vitesse, et notamment celui des 24 heures en solitaire et en monocoque battu successivement par Nicolas Lunven (Holcim – PRB) puis Yoann Richomme (PAPREC ARKEA) ces derniers jours, soient de nouveau d’actualité ?
Clairement oui et il n’est pas impossible qu’ils soient plusieurs à le faire tomber coup sur coup. Dans ce type de situation, à quelques milles près en latéral, les conditions de mer et de vent peuvent être très différentes et donc plus ou moins favorables. Tout dépendra donc de la manière dont les uns et les autres seront positionnés par rapport à la dépression. Proche du centre, le terrain de jeu sera forcément plus cabossé que 200 milles plus au nord. De plus, il y a, et on le sait, des différences de formes de carènes. Entre des bateaux comme ceux de Thomas Ruyant ou de Yoann Richomme et celui de Sam Goodchild (VULNERABLE) qui peut aller très vite mais enfourne beaucoup, la donne ne sera forcément pas la même. En termes de performance mais aussi en termes de confort de vie à bord.
Vendée Globe :
On peut donc s’attendre à ce qu’il y ait un voire deux systèmes d’écart entre les premiers et les derniers au niveau du cap de Bonne Espérance ?
C’est sûr que dans huit jours, il risque d’y avoir 2 000 milles d’écart entre le leader des foilers et le gros du peloton composé par les bateaux à dérives. Rien ne sera néanmoins figé pour autant. Ça peut très bien ensuite revenir par derrière, comme cela a été le cas lors de la dernière édition. Sur un tour du monde, l’élastique se tend puis se détend régulièrement. On l’a d’ailleurs encore bien vu ces derniers jours.
Vendée Globe :
Tu as disputé The Ocean Race l’an passé, à bord de Biotherm avec Paul Meilhat bien sûr, mais également aux côtés de Sam Davies et de Damien Seguin. Quel regard portes-tu sur leur course jusqu’à présent ?
C’est super de les voir régater. Ils sont dans le coup. Ils ont l’air d’avoir des bateaux en bon état mais c’est vrai qu’ils n’ont pas eu de gros passages de fronts ou de conditions compliquées depuis le départ. C’est d’ailleurs vrai pour toute la flotte qui est, chose inédite sur un Vendée Globe, quasi au complet après deux semaines de mer. On va voir comment se déroule la suite. D’ici peu, les uns et les autres vont arriver dans le tunnel du Grand Sud où il va forcément se passer des choses. En cas de pépin, ça va alors devenir plus compliqué de réparer ou de trouver abri près d’une côte rapidement. Si l’un des concurrents doit arrêter sa course pour une raison ou pour une autre, il risque alors de mettre très longtemps à rejoindre la terre. A titre d’exemple, je pense à Loïck Peyron qui, en 2008, avait mis trois semaines pour regagner l’Australie à la suite de son démâtage survenu à 650 milles de l’archipel des Kerguelen. Dans ces coins-là, chaque problème devient vite un très gros problème et en ce sens, il vaut parfois mieux que ça casse avant !