Retour sur ta préparation et celle de ton bateau ?
Ma préparation a été certes courte mais très intense. Je pense qu’en onze mois, ma petite équipe, qui ne comptait pas ses heures, a réalisé le travail de deux années « normales ». J’étais donc serein et confiant sur la fiabilité de mon bateau. Au final, c’était plus en moi que je n’avais pas confiance…
Un départ plein d’émotion...
Ce départ des Sables d’Olonne était super émouvant, car c’était d’abord une première victoire d’être là, aux côtés des plus grands marins... Du coup, dès le signal de départ, je me suis tout de suite mis dans la course. Ce n’est que le lendemain que j’ai repensé à tout ça, à tous ces visages dans ma tête. J’ai pleuré souvent les cinq jours d’après. C’était un peu une première étape à passer avant d’attaquer le tour du monde en soi, surtout dans une zone d’entrée compliquée avec le golfe de Gascogne et son trafic maritime. Le chenal était d’ailleurs plus émouvant que le départ en lui-même… C’est symbolique, toute cette flotte qui se dirige vers la même ligne de départ, tout ce monde qu’on fait vibrer pendant la course, qui nous fait vibrer nous.
Des soucis techniques hélas, dès ta descente de l’Atlantique…
Je merde déjà complètement mon Atlantique Nord ! À mon passage de Madère, je fais une route au large avec Éric (Bellion) mais j’empanne trop tôt avant de devoir me dérouter vers les côtes brésiliennes à partir du cap Vert (afin de capter du réseau 3G dans le but d’installer un plugin visant à faire fonctionner son téléphone satellite comme modem internet, ndlr). Je me retrouve avec 30° d’écart par rapport à la route des autres, ça me rajoute des milles, mais je parviens à rester 25ème, à ne pas perdre de place. J’opte alors pour une option Sud, j’attaque, même si j’ai Enda (O’Coineen) qui me recolle. Après une dizaine de jours de doute, à ne pas savoir si ça va marcher, si je vais me retrouver tout seul derrière ou réussir à recoller à ceux de devant, au niveau des Kerguelen je suis devant Rich (Wilson) et Éric.
Le cap de Bonne Espérance en 20ème position
J’ai d’abord eu du mal à gagner des places suite aux abandons des autres skippers, j’avais le sentiment que je ne méritais pas cette progression au classement. Et puis j’ai peu à peu compris que ça faisait partie du jeu, que si je ne cassais pas c’est parce que je ménageais plus ma monture. Mais lorsque Fabrice (Amédéo) rencontre son problème de grand voile et que je le dépasse, j’ai un gros déclic. J’avais passé plus d’un mois sur l’eau, j’avais des vents portants, j’étais dans le rythme, j’ai compris que je pouvais faire quelque chose de beau, que je pouvais avoir plus d’un concurrent, j’étais en confiance. Même avec un vieux canot, je ne m’en sortais pas trop mal, j’avais beaucoup de plaisir, je me sentais bien avec ma Bigoudène. L’Indien nous a réservé des conditions fortes, mais finalement bonnes quand je repense à ce que j’ai eu après. C’était presque le plus agréable au final, avec ma meilleure perf : 382 milles à 16 noeuds de moyenne sur 24 heures le 08 décembre !
La rencontre de Noël avec Éric Bellion et Enda O’Coineen dans le Pacifique
On avait effectivement une grosse dep’ juste devant nous et avec la zone d’exclusion, on ne pouvait pas passer en-dessous, on n’avait pas d’autre choix que de freiner pour la laisser partir. On décide tous, individuellement de ralentir, même si c’est toujours frustrant alors qu’on est en course ! Le 24 décembre, Éric me dit qu’il n’est pas loin et on finit par se retrouver, rejoints le lendemain par Enda, déguisé en Père Noël dans son cockpit. C’était magique. Je suis resté avec Eric jusqu’au 26 au soir, puis on a relancé les voiles quand le vent est arrivé, petit à petit. C’est là que je repars plus vite que Fabrice et Cali (Arnaud Boissières) et me retrouve 11ème pendant quelques heures. Le pied ! Superbigou, construit en 2000 à Lesconil, aux portes du Top 10 du Vendée Globe 2016 ! (Rires)
Et le 2 janvier, avarie de safran…
J’étais repassé 13ème, après Fabrice, Cali et leurs bolides de 2008. Enda venait de démâter, j’approchais du point Nemo, le point le plus éloigné de toute terre, Conrad était coincé, couché dans 70 noeuds de vent. Je me souviens m’être dit : « Si tu dois casser, fais-le n’importe où mais pas là ! » Et je percute un OFNI. Je ne sais pas ce que c’était, un cétacé, un growler, un « déchet » divers. Je ne le saurai probablement jamais. Le choc a été brutal, ça a freiné d’un coup le bateau alors que je surfais à 20 noeuds. J’étais à l’intérieur, à la table à carte, je suis sorti sur-le-champ et j’ai vu flotter au loin mon safran tribord. Je suis tout de suite allé dans ma soute arrière voir les dégâts internes et vu l’eau rentrer. Un vrai geyser de 20 centimètres de diamètre. J’ai donc mis le bateau à la cape pour le coucher et isoler la voie d’eau, mais il ne tenait pas et se remettait constamment à plat. J’ai appelé mon équipe à terre pour les informer de mon avarie puis j’ai affalé la grand voile pour ne rester que sous J3, la quille sous le vent. Je me suis assis dans le cockpit pour réfléchir une dizaine de minutes, trouver la meilleure solution. La meilleure était de mettre mon safran de secours. Alors c’est ce que j’ai fait et une heure et 30 minutes après le choc, je refaisais route, safran changé et voie d’eau bouchée. Après avoir cru perdre le bateau, là, je me suis dit que j’avais fait quelque chose d’incroyable, que j’avais en moi cette force de me surpasser.
Le cap Horn le 16 janvier
Un des moments les plus forts de mon tour du monde… L’émotion à son paroxysme. J’en avais rêvé depuis tellement longtemps de ce cap Horn ! Peu de Suisses ont dû le passer en solitaire ! C’était la première terre que je voyais depuis le Brésil, la fin du Grand Sud, le bonheur à l’état pur. Je l’ai passé sous voile réduite. C’était important pour moi de le voir, j’aurais eu les boules de me battre tout le Pacifique pour ne même pas voir à quoi il ressemblait ! Et là, tu te dis presque que tu es arrivé, que c’est la fin, clignotant à gauche et remontée tout droit vers la maison. Mais non, la route est encore terriblement longue ! C’était interminable. Au final, moralement, ça a été la portion la plus difficile de ce tour du monde.
Quelles avaries, exprimées... ou cachées ?
Quelques unes oui, on m’aurait sûrement dit de m’arrêter sinon ! (Rires). Pour ne rien cacher, j’ai dû monter environ sept fois au mât pour remettre mon lazy bag (qui retient la grand voile sur la bôme, ndlr) qui n’arrêtait pas de casser à force de frotter contre la barre de flèche. J’ai aussi passé une journée sans pouvoir régler ma GV quand le pontet du chariot du rail d’écoute a pété et une après-midi à réparer une latte. J’ai aussi eu quelques bidouilles électroniques et informatiques suite à ma voie d’eau. J’ai aussi fait tout le début de course avec mon pilote en mode compas (ce qu’il y a sur les bateaux de plaisance, ndlr), avec un temps de réaction très lent, ce qui me faisait faire pas mal de zigzags sur l’eau. Sinon, ma dérive centrale a pris du jeu, le bateau ne tenait donc plus très bien sa trajectoire au près, il marchait un peu en crabe. Mon mât, aussi, a pris du jeu au niveau de sa rotation, ce qui le faisait un peu tourner… Il se transformait en mât à aile en fait (rires). Ce n’était pas très bon pour le gréement, alors j’y suis allé un peu plus cool. Sur mon safran tribord aussi j’y allais mollo, dans les jours qui ont suivi ma réparation. Je n’étais pas sûr à 100% que ça tienne. Mais au final, ça l’a fait ! Ce ne serait pas un Vendée Globe sinon !… Mais ma plus grosse cachoterie concerne mon mât… Au niveau des Kerguelen, un boîtier de latte de GV l’a percuté entre les deux étages de barres de flèches. En plein milieu du mât en fait. Ça a fait un trou qui l’a légèrement fissuré sur son profil bâbord. J’ai pris le risque de continuer en réduisant la toile les 48 premières heures, dans une énorme dépression. Ça a tenu sans problème. Et ensuite, j’ai oublié… Solide mon mât Lorima !
À 24 ans, où se situe ta plus grande marge de progression ?
Je peux progresser en termes d’analyse météo et de stratégie : je suis parti à 40% de connaissances, je suis rentré à 80%. Je n’ai jamais suivi de formation particulière, j’ai appris sur le tas. Il y a sûrement des automatismes ou des « règles générales » que je ne connais pas encore. Je pourrais aussi mieux faire avec des fichiers météo supplémentaires, ceux auxquels je n’ai pas pu avoir accès par manque de budget et, finalement, de connexion internet. Le reste, c’est de l’expérience à engranger. Ma chance, c’est qu’à 24 ans, j’ai le temps de progresser.
As-tu ressentis cet engouement autour de ta course ?
Je ne réalise pas encore tout à fait, je n’ai pas eu le temps de tout lire, mais quand on m’arrête dans la rue, juste pour me féliciter, ça fait bizarre ! J’ai mené ce projet dans l’ombre et je ne pensais pas qu’autant de personnes me suivraient pendant la course. Ça fait chaud au coeur car ça a toujours été mon moteur : donner un peu de bonheur aux gens, les faire rêver quelques minutes, leur permettre de s’évader du quotidien, de cet hiver parfois morose au vu de l’actualité du moment. Je recevais presque tous les jours des messages de la terre, ça m’ai aidé à tenir pendant les moments difficiles… En fait, ça donne surtout envie d’y retourner !
Tu souhaites repartir dans quatre ans ?
Je dis un grand OUI ! Je crois que c’est la première fois que je me suis autant projeté avant même l’arrivée d’une course. Pour l’instant, je rencontre mes sponsors actuels. La Fabrique et le collectif Un Vendée pour la Suisse continuent de m’accompagner. Avec Swisspro, un film est en production et un livre est également en cours. Je monte des budgets, je réfléchis aux différentes options. Mais je veux repartir oui, sur un projet de quatre ans, avec un bateau plus récent, plus performant, avec un programme complet, Route du Rhum, Jacques Vabre et autres courses au programme. Pour pouvoir prétendre à une meilleure place. Voire peut-être un jour le gagner ?
(Source : Alan Roura)