Philippe Jeantot a troqué sa veste de quart pour le costume d’organisateur. L’engouement médiatique est déjà énorme. Les coques de certains bateaux ne sont plus d’aluminium mais fabriqués en composites, comme le Bagages Superior d’Alain Gautier, magnifique ketch (à deux mâts) signé Pascal Conq et construit chez CDK. Quatorze marins sont en lice, mais avant même le coup de canon du départ, ce deuxième Vendée Globe prend une tournure dramatique : l’Américain Mike Plant, figure de la première édition, n’arrivera jamais aux Sables d’Olonne. Il disparait en mer pendant le convoyage pour rallier le port vendéen. C’est le premier drame de l’Everest des mers.
In memoriam Mike Plant et Nigel Burgess
Le 22 novembre, l’émotion étreint les poitrines quand il faut bien partir tout de même autour du monde. Un rayon de soleil éclaire la ligne pour tourner le dos à la foule, à la terre, au ballet des bateaux suiveurs et des hélicoptères… et c’est parti. En avant pour la traversée du golfe de Gascogne qui ne va pas usurper sa réputation casse-bateaux. Vagues énormes sur la remontée du plateau continental, vents à plus de 45 nœuds et premières avaries : Vittorio Mallingri rentre au port, puis Thierry Arnaud. Philippe Poupon, lui, craint un problème de structure sur sa quille et c’est pire pour le bateau d’Yves Parlier, un des favoris, qui démâte ! Tous repartiront, Parlier inclus avec un nouvel espar. Mais ce n’est que du matériel, juste du sport et de l’aventure. Le 26 novembre hélas, une autre catastrophe frappe la course : Nigel Burgess avait déclenché ses balises de détresse. On retrouve son corps noyé au large du cap Finisterre, flottant dans sa combinaison de survie, avec ses deux balises. Son bateau sera lui récupéré. Intact. Mystère.
Côté sport, un autre favori est au tapis : Loïck Peyron, dont le Fujicolor III se délamine inexorablement ! Abandon. Même chose pour l’amateur éclairé Thierry Arnaud, qui rentre aux Sables. A l’avant de la course, c’est une autre chanson de geste : celle d’Alain Gautier et Bertrand de Broc qui creusent en tête un long moment dans la descente de l’Atlantique. Mais le Bagages Superior d’Alain Gautier est plus rapide que le Groupe LG de Bertrand de Broc et il s’échappe : 300 milles d’avance en entrant dans les Quarantièmes Rugissants. Philippe Poupon lui, revient fort sur VDH puis sur le Hongrois Nandor Fa, qu’il double allègrement la veille du jour de l’an.
« Rambo » de Broc
Le 8 janvier survient un épisode resté dans la légende du Vendée Globe : Bertrand de Broc s’est sérieusement blessé au visage et s’est surtout profondément sectionné la langue. Que faire, seul en pleine mer ? Pas d’autre solution que se recoudre soi-même… ce que fait Bertrand, guidé à distance par le médecin de la course, Jean-Yves Chauve. De Broc hérite aussitôt du surnom de « Rambo » et d’une réputation de dur au mal qui ne le quittera plus. Le grand public prend toute la mesure de ce que peut devenir – aussi – un tour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance. Où le moindre pépin devient vite surdimensionné, où la maladie et la blessure ne peuvent être soulagées que par le marin lui-même. L’épisode fait partie intégrante du mythe. Hélas pour Bertrand de Broc, il n’est pas au bout de sa malchance : il faut imaginer sa détresse quand les architectes de son bateau lui annoncent qu’il risque à tout moment de perdre la quille, pour une sombre histoire de boulons sous-dimensionnés et pas fiables ! Pas d’autre choix que l’abandon, en Nouvelle-Zélande.
Beaucoup d’autres marins sont confrontés à des avaries importantes : Vittorio Malingri perd un safran, Bernard Galay subi des problèmes de pilote et de safran, puis de gréement. Jose Luis de Ugarte constate une voie d’eau. La plus grosse galère, alors – parce qu’elle se décline dans la souffrance physique - c’est celle du Britannique Alan Wynne-Thomas : il passera vingt jours dans les océans déchaînés du Grand Sud avec six côtes cassées ! « En deux jours il avait liquidé son stock de morphine » racontera plus tard Jean-Yves Chauve…
Un triomphe mérité
En tête ? Et bien le leader Alain Gautier n’est pas épargné non plus ! D’abord parce qu’il constate que de l’eau entre sur bâbord et emplit le compartiment arrière de son bateau à un rythme inquiétant. Puis parce qu’en approche du cap Horn sa radio le lâche et qu’il ne reçoit donc plus les bulletins météo. Enfin parce que le Fleury Michon de Philippe Poupon est en train de revenir sur lui. Bagages Supérior double le Horn le 6 février, avec tout de même 36 heures d’avance, mais rien n’est encore acquis. Il faudra se battre chaque jour dans la remontée des deux Atlantique pour conserver puis bonifier le capital. Et ce n’est pas simple de contourner l’anticyclone de Sainte-Hélène, retraverser le Pot au noir et enfin trouver les vents qui portent vers les Sables d’Olonne. Mais Alain tient le choc, cherche et trouve sa route tant et si bien qu’il ne peut quasiment plus être rejoint.
Le 11 mars a lieu un ultime rebondissement : sauf accident, la course est gagnée pour Alain Gautier qui possède 900 milles d’avance… quand Philippe Poupon annonce qu’il a démâté ! Bagages Superior embouque le chenal en vainqueur le lendemain, en 110 jours, 02 heures et 22 minutes. Le record de Titouan Lamazou n’est donc pas battu mais Alain Gautier est bel et bien un immense marin et fêté comme tel. Poupon, se verra logiquement chiper la deuxième place par VDH, deuxième en 116 jours. Mais en fabriquant un gréement de fortune, « Philou » parviendra à rallier Les Sables d’Olonne et à se hisser malgré tout sur le podium, troisième ! Yves Parlier, Nandor Fa, Jose Luis de Ugarte et Jean-Yves Hasselin, classés de 4e à 7e, seront les autres héros de cette deuxième édition du Vendée Globe. Mais laissons à son vainqueur le mot de la fin. Pour Alain Gautier, c’est limpide : « Le Vendée Globe est sûrement la course qui m’a apporté le plus sur la vie en général, et surtout sur moi-même. »
Le classement de l'édition
- Alain Gautier (Fra, Bagages Superior) : 110 jours 02 heures 22 minutes et 35 sec
- Jean-Luc Van Den Heede (Fra, Groupe Sofap-Helvim) : 116j 15h 01'11''
- Philippe Poupon (Fra, Fleury-Michon X) : 117j 03h 34'24''
- Yves Parlier (Fra, Cacolac d'Aquitaine) : 125j 02h 42'24''
- Nandor Fa (Hon, K&H Banque Matav) : 128j 16h 05'04''
- José de Ugarte (Esp, Euskadi Europ 93 BBK) : 134j 05h 04'00''
- Jean-Yves Hasselin (Fra, PRB/Solo Nantes) : 153j 05h14'00''
Hors-course
- Bernard Gallay (C-H, Vuarnet Watches), double escale pour problème de pilote et de structure du gréement.
Les abandons
- Vittorio Mallingri (Ita, Everlast/Neil Pryde Sails), perte d'un safran
- Bertrand de Broc (Fra, Groupe LG), problème de quille (Nouvelle Zélande)
- Alan Wynne-Thomas (G.B, Cardiff Discovery), raison médicale (Hobart)
- Loïck Peyron (Fra, Fujicolor III), délaminage (Les Sables d'Olonne)
- Thierry Arnaud (Fra, Maître Coq/Le Monde de l'Informatique), pour manque de préparation (Les Sables d'Olonne)
Disparitions
- Nigel Burgess (G.B, Nigel Burgess Yacht Brokers), retrouvé noyé dans le golfe de Gascogne
- Mike Plant, disparu en mer pendant le convoyage avant le départ