11 Février 2021 - 16h16 • 10966 vues

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Retrouvez l'essentiel de la conférence de presse d'Arnaud Boissières (La Mie Câline - Artisans Artipôle) ce jeudi, après sa 15e place.

Quel est ton premier sentiment ?
« Cela fait trois mois que je me laisse flotter. Et là, je me laisse flotter de bonheur. C’est un privilège intense de pouvoir finir un Vendée Globe. C’est chouette de faire une course en solitaire et d’avoir autant de monde qui t’aide à finir. C’est un soutien quotidien quand tu montes le projet, que tu as des doutes, des problèmes… Il faut apprendre à savourer. J’ai savouré en deux temps, d’abord en coupant la ligne au petit matin, puis en remontant le chenal. Il y avait beaucoup de monde, plein de gens aux balcons et des grands navigateurs qui étaient là. Il y avait Jean-Luc Van Den Heede et un autre, un grand navigateur depuis toujours et aussi un grand ami (Yannick Bestaven). Ce Vendée Globe a une saveur particulière parce qu’il l’a gagné et j’ai l’impression que c’est une partie de moi qui l’a gagné aussi. 

Yannick Bestaven (Maître CoQ IV) intervient : « Tu es c…, Cali : je n’ai pas versé une larme à l’arrivée, et là, tu vas me faire chialer. On a navigué ensemble, on a construit nos Mini Transats ensemble, il y a presque 30 ans. Cali est un grand marin, lui aussi : il a bouclé quatre Vendée Globe ! Tu m’as donné la force de remonter un projet. Et quand ça a été dur au cap Horn, avec 70 nœuds, tu as su me guider. C’est quelqu’un d’expérience, c’est mon ami, merci pour ce que tu fais ».


Tu dis souvent que le Vendée Globe, c’est ta vie…
Un Vendée Globe, c’est une tranche de vie. Et pour moi, c’est particulier. Mon histoire personnelle m'amène ici, aux Sables, en 1989 avec mon papa dans des circonstances particulières. C’est ce qui m’a donné une autre vision de la vie, au moins. Une vie de passionné, de perturbateur, j'avais 17 ans, j’avais une leucémie, et je n'étais pas en super forme. Alors voir ces grands malades partir autour du monde… Je me suis dit qu’ils étaient des super héros. Mais je ne voulais pas faire le Vendée Globe : je voulais faire Titouan Lamazou. Ce mec est extraordinaire, il est cultivé, il a du talent pour peindre et écrire.

Le Vendée Globe est finalement devenu une histoire de vie. Après 1989, je me suis remis de ma maladie, et je n’ai plus eu de problèmes : j’ai deux enfants qui sont là ; je n’ai pas beaucoup grandi, mais ça n’a rien à voir. C’est pour ça que je déconne toujours aussi peut-être, parce que l’autodérision permet de décomplexer par rapport à des choses graves.

Mon projet Mini a été extrêmement formateur, et j’ai couru deux fois avec Yannick. J’avais un bateau d’occasion, puis on s'est dit qu’on allait monter un projet avec un bateau neuf : cela t’oblige à savoir tout faire. Comme sur le Vendée Globe. Je ne suis pas sûr qu’on imaginait faire le Vendée à cette époque… On a navigué avec Yves Parlier. On a fait des transats. Naviguer sur des bateaux, on savait que c’était possible ; monter un projet, c’est autre chose. On s’est démené, Yannick et moi.

Il y a une différence entre Yannick et moi. J’ai couru quatre Vendée Globe, et j’ai terminé les quatre. Lui a abandonné très vite à son premier, et il remporte son deuxième. Je me rappelle qu’il avait été le dernier à partir se coucher, lors de la fête qui avait suivi notre premier Vendée Globe. C’était sa façon de profiter de ce qu’il aurait aimé vivre.

Tu es le premier à boucler quatre Vendée Globe consécutifs. Quatre, c’est aussi le nombre de tours en solitaire réalisés par Jean le Cam.
Mais c’est Jean Le Cam. Il était là tout à l’heure, c'est sûr que c'est une victoire : il y avait un vrai Finistérien pour mon arrivée ! Je n’ai rien à voir avec Jean Le Cam, je finis quatre Vendée Globe, c’est comme ça. Je ne marque pas l'histoire, chacun des concurrents marque sa propre histoire avant tout ; nous ne sommes pas là pour être dans le livre des records. Tous écrivent leur propre histoire, et je pense à Alexia (Barrier), à Ari (Huusela), ou à Manu (Cousin), dont je suis l’histoire, avec ses problèmes de quille.

Qu’as-tu pensé, au fond, de la chanson que Laura Laune t'a adressée ?
Je suis encore mort de rire. J’aime bien déconner. Au début, parce que l’image était figée, j’ai cru à une farce. J'avais embarqué des podcasts, notamment l’un d’elle qui raconte sa relation à l’humour. J’ai rigolé de cette vidéo jusqu’à hier soir ! J’adore la musique, j’adore l’autodérision. La musique me booste. Mais je danse très mal, comme Yannick ! 

Vous avez tous raconté une merveilleuse histoire de solidarité…
Aujourd'hui, les moyens de communication - grâce à nos antennes Certus qui nous permettent d’avoir les messageries instantanées - facilitent la communication entre individus. Contrairement à ce qu'on pensait, ça a ouvert à des échanges plus sereins. On avait un groupe entre coureurs du Vendée Globe ; Boris Herrmann a eu un problème avec une pièce et il en a parlé aux autres, tout comme Romain Attanasio, qui a expliqué comment réparer à Stéphane le Diraison, face à un souci similaire. La course au large a beaucoup évolué. Avant, on cachait les choses ; on est plus solidaires maintenant.

Question de Jean Luc van den Heede : « Avec 4 tours du monde dans ce sens-là, tu ne voudrais pas essayer dans le sens inverse ? »
Tu sais très bien que ça m’a intéressé il y a quelque temps, et ça m'intéresse toujours, mais il faut des moyens, un bateau, des partenaires. Je ne dis pas que, le jour où j’en aurai fini avec le Vendée Globe je ne ferai pas le tour du monde à l’envers. Ça fait envie parce que ton record n’est pas battu. Mais à un moment de la course, tandis qu’on faisait du près quelqu’un a dit : « Celui qui fait le tour du monde à l’envers est complètement taré ! » Je n’ai rien répondu. Il faudrait le faire avec un bateau différent. Mais j’ai encore deux-trois choses à régler avec le Vendée Globe. 

Quelle est ton envie pour 2024 ?
L’envie, c’est de construire un projet avec un bateau de génération 2016 pour faire un Vendée Globe différent, pas juste pour faire le tour. C’est l’aboutissement, mais on a un programme construit avec la Transat Jacques Vabre, la Route du Rhum, la Bermudes 1000 race - dont Yannick a fait deuxième d’ailleurs. Ce circuit intense permet aux partenaires de s’y retrouver. C’est ce circuit qui fait que le Vendée Globe est si compétitif aujourd’hui. Les marins sont proches les uns des autres, et la course est encore plus intense. 

Quels sont tes pires et meilleurs souvenirs ?
Le plus intense et dur, c’est le moment où j'ai affalé complètement les voiles parce qu’il y avait trop de vent : un peu plus de 60 nœuds. Je faisais encore des surfs à 20 nœuds sans toile. Quand j’ai renvoyé, j’étais fier de moi car j’avais préservé le bateau. Parmi les bons, il y a le cap Horn, parce que ce n'est pas rien quand même. Mais il y a surtout la victoire de Yannick ! C’était tellement intense. Et puis il y a eu le chenal, tout à l’heure, avec ma famille, un moment fort.

Quelques jours après le départ, tu es passé à côté de l’abandon…
On part sous voile de portant avec des systèmes de hook. Dès la première nuit, la voile ne descend pas. Je me mets vent arrière pour descendre la voile. Je n’ai pas pensé à l’abandon, j’ai juste pensé à un truc déplaisant : monter en haut du mât. Je suis monté une première fois et quand la voile est tombée, elle est mal tombée : à moitié dans les haubans. Il a fallu que je remonte ensuite. Je me suis dit que la course avait une autre saveur (que prévu), qu’il fallait prendre la mesure de ce que j’étais en train de faire. Il y a quelques années, j’aurais pété un plomb. Je le dois aussi à Jean-Christophe Caso, qui m’a dit quoi faire. Je n’ai pas trop fait le malin en haut du mât...

Ce fut aussi compliqué il y a quelques jours quand je n’avais plus d’hydrogénérateur, au large des Açores, et que mon éolienne ne faisait plus trop le job. Ça pouvait être la fin. Julien Berthelot des Sables, m’a aidé et, avec Jean-Christophe Caso, on a réussi à faire démarrer le moteur. À chaque fois qu'il démarrait, je l’embrassais. C’est plutôt là que j’ai pensé à l’abandon. Mais je ne voulais pas lâcher, mais sans énergie, on ne peut rien faire. Donc je ne faisais pas le malin. 

Un dernier mot ?
Je pense énormément en ce moment à Manu Cousin ; je pense aussi à Sam et Isa qui ont fait escale et qui vont finir le Vendée Globe. Comme par hasard, ce sont deux femmes. Elles ont une force de caractère que les hommes n’ont pas. En arrivant à Cape Town, Sam nous a envoyé une photo d’elle avec une bière. Elle aurait pu pleurer dans son coin. J’espère qu’il y aura du monde pour accueillir Sam et Isa. Enfin, je remercie tout le monde de m’avoir permis de faire ce 4e grand tour. Maman, papa, mes petites sœurs, mes enfants et mes partenaires. C’est une famille tout ça. C’est génial ».