Drôle de période pour le monde de la course au large. Les premiers rayons du soleil de l’année ne semblent pas avoir de prise sur les marins. L’heure n’est ni aux sorties en mer, ni aux milles qui défilent, ni aux embruns. Pourtant, un an après l’incroyable dénouement du Vendée Globe lors duquel dix marins se sont succédé sur la ligne d’arrivée en l’espace de 72 heures, ils sont nombreux à préparer déjà les frissons de la prochaine circonvolution. C’est le temps des possibles, des heures qu’on ne compte plus pour façonner un nouveau bateau, peaufiner son équipe, préparer déjà les trois années à venir pour gagner en sérénité et s’autoriser à rêver.
Un projet débuté « avec un stylo et un bout de papier »
Dans le bal des prétendants, il y a les habitués et les nouveaux. Et parmi eux, un fidèle des pontons de 38 ans, le buste haut et le regard assuré : Yoann Richomme. Le dernier Vendée Globe, il l’a vécu en partageant régulièrement ses analyses tactiques derrière son écran, décortiquant les trajectoires des uns et des autres, livre ouvert pour comprendre ces pixels animés sur la cartographie. « C’était une bonne expérience et j’espère que d’autres le feront pour expliquer la voile de façon pédagogique », confie-t-il. Cette volonté de raconter, de vulgariser, d’expliquer, Yoann Richomme l’a conservée. Mais désormais, c’est depuis les mers du globe qu’il souhaite la mettre à profit.
Le projet a débuté avec « un stylo et un bout de papier » l’été dernier aime rappeler Yoann. Dans l’aventure, il y a deux sponsors (Paprec et Arkéa) qui ont renforcé leur engagement en créant une structure basée à Lorient (Team Spirit Racing), un nouveau bateau en construction et un directeur général (Romain Ménard). L’équipe continue de s’étoffer – elle devrait bientôt compter 12 salariés – et les profils qui la composent disent tout de l’ambition du projet avec notamment Gautier Levisse, ex-Banque Populaire, Simon Troël, ex-responsable du développement chez Corum. C’est l’architecte Antoine Koch et le groupe Finot-Conq, également sollicité pour le nouveau bateau de Thomas Ruyant (LinkedOut), qui sont à la manœuvre.
« On fait ce à quoi on croit »
Après sept mois de travail, place à la construction. Un an sera nécessaire dans les locaux de Multiplast à Vannes, d’où est récemment sortie la coque du nouvel Imoca V&B - Monbana - Mayenne de Maxime Sorel. La coque de PAPREC ARKEA y est aussi, déjà dotée des plis de carbone qui la façonnent. Les premiers ont d’ailleurs été posés symboliquement mi-janvier, en présence du skipper. « C’est particulièrement enthousiasmant de voir les premières formes du bateau », confiait alors le skipper.
Architecte naval de formation, révélé tard à la compétition, le marin ne cache pas sa fierté, heureux que « la somme de mes expériences me conduisent là », à mener un projet et tenter la grande aventure. « Je prends autant de plaisir à faire vivre un projet qu’à naviguer ». Et il sait où il va – « On fait ce en quoi on croit » -, a une vision précise qui a convaincu les dirigeants de Paprec et d’Arkéa et qui se dévoile déjà dans l’orientation qu’il souhaite donner à son futur monocoque.
La philosophie générale ? « Un bateau agréable à vivre et performant », assure-t-il. La coque offre ses premiers éléments de réponse avec sa physionomie très spatulée pour gagner en aisance dans les vagues. « Au lieu de buter dans la vague, l’idée est de faire en sorte que la carène, en ayant du volume devant, puisse ricocher de vague en vague sur les allures portantes », assure Gautier Levisse, ingénieur au bureau d’études.
Ne négliger aucun détail
Dans l’équipe, on aime rappeler que « tout reste à faire », qu’il faut encore se structurer, superviser le chantier, la coque à construire, les cloisons à structurer, le pont à fixer… « Être au début d’une aventure, c’est forcément passionnant, encore plus quand le but est d’être performant au Vendée Globe », s’enthousiasme Simon Troël. « Quand un projet est aussi pointu techniquement, on apprécie assister à chacune de ses étapes », poursuit Yoann. Il prévoit, comme une partie de son équipe de faire un aller-retour entre Vannes et Lorient chaque semaine.À le voir arpenter le chantier de Multiplast et échanger auprès des membres de son équipe, c’est la détermination qui frappe. Yoann Richomme ne s’élance pas seulement dans l’aventure d’une vie, il semble en mission. Son expérience est trop précieuse – avec des succès à la Solitaire du Figaro (2016 et 2019), à la Route du Rhum (2018, 1er en Class40) et à The Ocean Race Europe (2021) en VOR65 – pour savoir que l’anticipation et la capacité à ne négliger aucun détail comptent, même trois ans avant l’objectif. Et cela ne prend pas toujours la tournure que l’on croit.
S’il reste discret sur son programme sportif de l’année, tout en assurant qu’il va naviguer d’ici la mise à l’eau, prévue en début d’année 2023, Yoann Richomme a également prévu… de prendre des vacances. « C’est une année un peu plus légère et on se donne la latitude de prendre du temps, explique-t-il. Car on sait qu’après, ce sera un tunnel de travail et d’investissement pendant deux ans ». Pour PAPREC ARKEA aussi, le Vendée Globe 2024 a donc déjà commencé, plus de 1000 jours avant le grand départ.
La rédaction/A. G.