Fabrice Amedeo : « l’éternité est entrée dans ma tête »
L’émotion était palpable en cette fin de journée sur le chenal. Fabrice Amedeo (Newans Wewise, 32e), qui pourrait être le dernier classé de cette 10e édition, a franchi la ligne d’arrivée et s’est laissé happer par la ferveur du chenal. Sous le soleil couchant, Fabrice a salué la foule, serré fort ses proches, craqué des fumigènes et même esquissé quelques pas de danse. « Tout vient à point pour celui qui peut attendre », a-t-il dit avant de sabrer le champagne. Les yeux embués, il est revenu sur sa longue aventure.

Vendée Globe :
On a senti beaucoup d’émotions lors de ton arrivée…

Oui, d'autant que ce Vendée Globe a été long. Je n’étais pas parti pour ça mais c’est aussi ça la magie de l’océan et la magie du Vendée Globe. Je me suis rendu compte assez vite que le bateau n’était pas prêt, que je n’étais pas prêt non plus. Dans l’océan Indien, j’ai été trop prudent et j’ai continué à perdre des jours ensuite. Après, l’objectif final est rempli : j’ai réussi à aller au bout du Vendée Globe deux ans après avoir fait naufrage (à la Route du Rhum ndlr) et c’est une énorme victoire pour moi.
Vendée Globe :
Tu es fier de ce que tu as accompli ?
Oui bien sûr. J’ai pu réaliser des mesures scientifiques, faire un tour du monde sans énergie fossile… Bien sûr mon temps de course est long mais ça a été une super expérience. Pendant tout ce temps, c’est l’éternité qui est entrée dans ma tête, c’était dingue ! J’ai vécu quelque chose de différent, de fort et tout aussi exaltant que mes deux précédents Vendée Globe.
Vendée Globe :
Justement quel rapport as-tu eu au temps, à l'issue de ces 114 jours de mer ?
C’est vrai qu’il y a eu des moments où les jours défilaient mais les milles ne défilaient pas énormément. C’est un vrai combat, il faut accepter. Il y a huit ans, j’y étais allé « super cool » et j’avais mis 103 jours. Là j’y suis allé « moins cool » et ça m’a pris plus de temps. Il y a eu peut-être des choix de trajectoires moins ambitieux qu’il y a huit ans. Je trouve aussi que l’océan a un peu changé, la nature est plus imprévisible qu’avant, sans doute à cause du réchauffement climatique. C’est plus instable, il y a plus de grains, c’est plus difficile de naviguer en solitaire. Pour des profils comme moi, ça pousse forcément à la prudence.
Vendée Globe :
Qu’as-tu appris sur toi lors de cette aventure ?
J’ai appris que j’étais capable d’être patient. Je suis quelqu’un d’assez impatient, remuant, toujours avec des envies, des projets… Là, j’ai réussi à quitter la temporalité de la terre pour être vraiment dans la temporalité du Vendée Globe. Il ne faut surtout pas se projeter.
Vendée Globe :
Est-ce que tu as réussi à prendre du plaisir ?
Il y a eu des moments de plaisir mais cette année, l’océan a été difficile et il y a eu peu de récompenses. Hier en est une : j’approchais les côtes bretonnes, j’avais l’impression de sentir les odeurs de la Bretagne, il y avait un magnifique coucher de soleil, un pêcheur à proximité… Dans ma vie, j’ai eu beaucoup de moments de bonheur mais de la joie c’est rare. Et hier, j’avais une joie extatique, une joie forte et incroyable. J’étais de retour à la maison et je faisais route vers les Sables d’Olonne.
Vendée Globe :
Manuel Cousin et Arnaud Boissières sont là pour t’accueillir. Ça fait chaud au cœur ?
Il y a une vraie relation très forte entre les skippers. J’ai de très bons amis dans la course au large et ils en font partie. En 2016, on s’était tiré la bourre avec Arnaud Boissières, on s’écrivait des mails et on était devenu amis. Là, j’ai découvert Manuel Cousin avec qui on parlait par WhatsApp. On s’entraidait, on se souhaitait bonne chance quand il y avait des coups de vent, on discutait de notre vie personnelle…
Vendée Globe :
Tu devrais être le dernier classé de ce Vendée Globe…
Oui même si Denis est encore sur l’eau et que je pense beaucoup à lui, il a beaucoup de mérite. Être dernier classé, ce n’est pas vraiment un sujet. Pour moi, je suis finisher. Je suis un ancien journaliste et j’ai réussi à boucler deux Vendée Globe dans ma vie, c’est énorme. Je suis le 32e marin à avoir terminé plus qu’un Vendée Globe… L’objectif est rempli et j’en suis très heureux !