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Catherine Chabaud : « Mon énergie et mes convictions, je les ai puisées dans le Vendée Globe »

En 1997, elle est la première navigatrice à boucler le tour du monde en solitaire sans escale et sans assistance. Ces 20 dernières années, elle s’est engagée dans la défense des océans. Avec elle, nous allons parler (longuement) de Vendée Globe, d’environnement et des femmes dans la course au large.

Catherine Chabaud arrivée 1997

C’est à deux pas du centre d’Angers, depuis la maison qu’elle occupe avec son compagnon Jean-Marie, que Catherine Chabaud répond à nos questions. Il est 18 heures, elle a envie de prendre l’air. Besoin de s’oxygéner après une journée passée devant l’écran. Face à elle, des hectares de forêts. À ses pieds, des pâquerettes et des boutons d’or. Au loin, un chevreuil vient faire des apparitions…

Quel est ton emploi du temps en ce moment ?

« Je sors d’un webinaire en anglais sur le rôle de la diplomatie européenne sur l’Océan, alors je suis un peu vidée… Je suis au parlement européen depuis deux ans (députée européenne liste Renaissance depuis 2019, ndr). Avant, la politique était loin de moi ! Mais depuis mon dernier Vendée Globe (2001), à cause des déchets que j’ai vus en mer, mais aussi de tout ce que j’ai appris en course au large, je suis engagée sur les questions de développement durable et je m’intéresse plus particulièrement aux solutions liées à la mer et au littoral.

Ces 20 dernières années, j’ai lancé des projets et saisi des opportunités en faveur du climat, de l’environnement, des océans.  J’ai conscience que la mer est l’avenir de la terre et j’essaie de promouvoir, de faire en sorte que le plus grand nombre comprenne que ces enjeux sont essentiels. L’Europe est la bonne échelle pour accélérer le processus. C’est une sorte de gros bazar enthousiasmant, mais j’ai beaucoup plus de moyens d’action en étant à l’intérieur. Nous sommes en train de former une vraie équipe européenne autour de la mer… un équipage international ».

Quels sont les grands enjeux actuels, au niveau européen, en ce qui concerne les océans ?

« 1 / La connaissance, d’un point de vue scientifique ;  2/ La préservation ; 3/ Une économie bleue plus durable. Je suis rapporteur sur plusieurs textes sur les énergies marines ; 4/ La gouvernance : géostratégie, organisation de la mer à l’échelle nationale, européenne, internationale. C’est par la mer que passent 90 % des échanges entre les pays. Il y a de très nombreux enjeux connexes et l’Europe mène une politique maritime intégrée.

De nombreuses initiatives et missions sont en cours : la Décennie des Sciences de l’Océan lancée par les Nations Unies, Starfish 2030, au niveau européen, qui va donner lieu à des appels à projets. Nous voulons aussi faire de l’Europe la championne des navires verts avec un travail sur les moyens de propulsion et à ce titre, la course au large a beaucoup à apporter. Les gros sujets du moment sont l’extension des aires marines protégées avec un objectif à 30%, les plastiques, les émissions de CO2 (via le Green Deal, le pacte vert européen), la pêche, les énergies marines, ce que j’appelle le carbone bleu.

Et il y a 3 ans, le 8 juin, j’ai lancé un appel pour que l’Océan soit reconnu comme bien commun de l’humanité. L’idée est de faire avancer ce concept au niveau international et de l’intégrer dans un futur traité de l’ONU ».

Tu restes attachée à la course au large et tu avoues avoir suivi de très près le dernier Vendée Globe. Tu évoques les émotions fortes revécues à travers cette édition et ses acteurs …

« Tout ce que je fais aujourd’hui, je trouve l’énergie de le faire et la conviction que c’est possible parce que j’ai bouclé mon premier Vendée Globe. Cette année, justement, je trouve que les marins ont témoigné de manière très sensible de leur capacité à trouver des solutions. Je crois qu’on peut avoir des rêves plus grands que soi et c’est la plus grande leçon du Vendée Globe. Il suffit d’avoir la volonté d’y aller et d’être juste, de ne pas se tromper d’histoire. C’est ce qui m’a beaucoup touché cette année. Cette course est toujours difficile et je trouve que les uns et les autres ont très bien partagé ce qu’ils ont découvert sur eux-mêmes et leur capacité à résoudre des problèmes.

 

© / Vendée Globe

Ce Vendée Globe, je l’ai vécu avec beaucoup d’émotion, leurs témoignages m’ont ému et cela m’a replongé dans ce que j’avais vécu moi-même il y a 20 ans.  Je me suis dit : ‘ ils sont en train de se prendre des leçons essentielles, non seulement pour boucler la course, mais aussi pour toute leur vie. Ils vont pouvoir en tirer des choses formidables’. Ça vaut le coup d’y croire, d’aller jusqu’au bout. Je me suis retrouvée dans ce que partageaient Pip Hare ou Jérémie Beyou par exemple.

Le Vendée Globe, c’est une expérience de l’extrême. Quand c’est bon, c’est extrêmement bon et quand c’est dur, c’est vraiment très dur. Quand ils étaient dans les tempêtes, je me réveillais la nuit, je regardais la météo. Je n’ai pas raté une seule mise à jour des positions jusqu’au dernier concurrent. Étrangement, je me suis dit : ‘Il est temps que ça s’arrête’.

J’ai envoyé des petits mots à certains. J’ai échangé avec Alexia Barrier. Elle était à bord de mon ancien bateau (le Pingouin, plan Lombard conçu pour le Vendée Globe 2000, ndr). C’est d’ailleurs une grande fierté de voir ce bateau boucler son 7ee tour du monde !  J’ai aussi envoyé des messages à Samantha, à Miranda,  à Yannick Bestaven, et à d’autres. J’avais envie d’écrire à tout le monde !

Et puis je me suis aussi refait le film de mes courses. Celle où j’ai abandonné à deux jours de l’arrivée en me disant que j’aurais pu essayer de finir sous gréement de fortune. Ça me reste encore en travers de la gorge ce démâtage ! Celle où je termine, je suis dernière, en 140 jours, en me disant que j’aurais pu être meilleure. J’étais aventurière dans l’âme, mais aussi compétitrice. Et puis finalement, il faut se dire qu’il y a plus grave dans la vie et garder la fierté d’avoir mené un beau projet.  La première fois, je me suis inscrite un mois et demi avant le départ. Je m’étais décidée en 5 minutes pour récupérer le « Cigare Rouge » de VDH. C’était mon rêve, j’étais animée d’une énergie folle. J’ai découvert le bateau le 1er octobre alors que le départ était donné le 3 novembre !

Cette course n’offre que du positif au final et elle a un potentiel extraordinaire. Parmi les autres leçons de vie, il y a celle de l’adaptation. La mer t’apprend à composer avec les éléments et à ne pas lutter contre. Il ne faut pas envisager de lutter, sinon, tu le payes. Il faut composer avec la mer, car elle sera toujours plus forte.  En matière de changement climatique, c’est la même chose, il faut composer et trouver des solutions pour s’adapter ».

Tu es la première femme à avoir terminé cette course en 1996/1997, quel était le paysage et quel était l’état d’esprit à l’époque chez les navigatrices ?

« Il y avait quand même des femmes en course au large. Florence Arthaud, Anne Liardet, Isabelle Autisser, Sylvie Viant, Christine Guillou, Christine Briand sur la Whitbread, Louise Chambaz en multicoque et j’en oublie. Il y en avait aussi en voile olympique. J’ai disputé la Mini Transat il y a 30 ans et à l’époque, on était 2 femmes sur 70 ou 80 concurrents.

Donc, nous n’étions pas nombreuses, mais nous ne nous posions pas beaucoup la question. On ne se regardait pas comme des femmes navigantes, juste comme des individus ayant envie de réaliser leur rêve. On a peut-être grandi dans des familles où on n’était pas éduquées différemment de nos frères… peut-être. Et puis dans le milieu, il y avait beaucoup de bienveillance pour les femmes qui couraient. Cela dit, entre ma Mini et mon Vendée Globe, j’ai essayé d’embarquer pour la Whitbread et un jour, j’ai compris que je n’embarquerais pas parce que j’étais une femme… ça a été une grosse frustration. Lorsque j’ai suivi la course en tant que journaliste et que je me pointais aux étapes, à mes frais, j’avais toujours mes bottes et mon sac prêt au cas où… mais ça n’a pas marché. De toute évidence, il fallait que j’en fasse plus pour pouvoir embarquer. Je ne suis pas du sérail, je suis née à Lyon, j’ai grandi en région parisienne. Je ne suis pas issue d’une famille qui navigue.

Je me suis donc retrouvée à monter mes propres projets pour créer les conditions pour ma propre navigation. Soit, en solitaire ».

Cette année, elles étaient six au départ - un record –. Le tout dans un contexte d’éveil des consciences sur la nécessité d’encourager la pratique féminine. Sur l’Ocean Race (ex Whitbread, ex Volvo Ocean Race), sur SailGP ou en olympisme, on tend vers des quotas ou une imposition de la mixité, qu’est-ce que cela t’inspire ?

« C’est un passage obligé. Il y a 20 ans, je n’aurais pas forcément adhéré à ça. Mais aujourd’hui, ça me paraît aussi nécessaire que d’imposer la parité en politique, dans les conseils d’administration. Si je suis entrée au Conseil économique, social  et environnemental au ministère de l’Environnement (2010-2017), c’est aussi grâce à cela. La parité, tout le monde l’a constaté, cela apporte un autre souffle. Y compris au sein d’un équipage ! »

Dans la communauté course au large, l’éveil des consciences se fait également de plus en plus fort et les initiatives plus nombreuses en ce qui concerne l’environnement et la préservation des océans…

« Il y a l’envie personnelle des skippers et le besoin de vendre cette dimension environnementale à des partenaires. Mais les marins, par définition, sont individualistes, et pour moi, il faut d’abord s’attaquer au cahier des charges des classes et des courses. On peut être créatif dans la contrainte. La course au large, c’est terriblement innovant. On a la chance d’avoir des partenaires qui financent cette innovation. Il y a tout un champ pour réfléchir et trouver des solutions pour réduire l’impact des bateaux neufs.

En ce qui concerne la classe IMOCA, par exemple, je trouve qu’il y a un gros sujet autour des vieux bateaux comme Le Pingouin. Pourquoi ne pas créer une classe pour les vieux bateaux ? Il faut donner la possibilité aux jeunes de partir avec des bateaux simples et des budgets raisonnables. Il faut créer le cadre pour continuer à faire naviguer ces bateaux-là ».

Dans quatre ans, seras-tu toujours une fidèle et inconditionnelle de la cartographie du Vendée Globe ?

« Je ne sais pas. J’avoue que cette année, je ne m’attendais pas à le suivre comme je l’ai fait ! Je serais peut-être moi-même en train de naviguer quelque part. Je rêve depuis longtemps d’un bateau de travail. Avec Jean-Marie, nous avons aujourd’hui  le Cigare Rouge (le bateau sur lequel elle a terminé le Vendée Globe 1996-97 et avec lequel son conjoint a disputé la dernière Route du Rhum). Il n’est pas impossible que je me lance dans un projet avec ce bateau, pas en course, mais pour défendre des idées, autour de l’Europe.

 

La rédaction du Vendée Globe / propos recueillis par Camille El Beze

 


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